" Mémoires en cavale du p'tit homme "

15h45, et cela fait près de 24 heures que tu es revenu dans ta chambre. Tu as été opéré hier matin 25 février et nous sommes mercredi 26. Tout s'est passé de façon merveilleuse! Un ange -ou peut être plus- devait veiller sur toi.

- Oui, Gabrielle, plusieurs anges m'ont aidé et je les ai en face de moi à présent...mes amis!

Je n'en revenais pas de pouvoir m'exprimer si facilement seulement le lendemain de mon opération. Je me sentais presque bien, si ce n'est cette lourdeur de par et d'autre de mon crâne et des tiraillements sporadiques. Mes cauchemars des jours derniers pouvaient bien aller au diable, j'étais là, bien éveillé et sur la bonne voie de guérison! Je voulus sourire à mes amis, mais je crois qu'ils n'obtinrent de moi qu'une affreuse grimace de douleur.

- Ne force pas trop, Tom, me conseilla Natacha, les coutures de ton crâne sont très grandes et le moindre mouvement de tes yeux ou de ta bouche risquent de te faire souffrir.

Que c'était bon d'être dorloté par tous ses regards doux...!

Les deux semaines suivantes passèrent relativement vite et le plus agréablement possible grâce au tour de garde que chacun prenait avec sérieux.

Gabrielle tint promesse en me racontant dans un langage imagé, dont elle seule avait la clé, tous les beaux paysages,sites et anecdotes de la région. Je n'avais qu'à fermer les yeux pour m'y retrouver, par la magie de la visualisation.

Natacha apporta de nouvelles pièces à ma mémoire en cavale. Elle me parla des moments de connivence avec Boris et Cristina, lorsque nous étions tous encore collègues de travail. Je m'aperçus, dans une joie et une tristesse mêlées, qu'au fur et à mesure de nos discussions, l'image de Cristina se précisait dans mon esprit. Ma gracieuse épouse brune aux yeux vert jade...et dans son sillon...notre fille Yelena, réplique presque identique de sa maman!

Boris et Anatoly, tour à tour vinrent parfaire mon passé... dans l'armée, mes actions, mon travail, et vantèrent mes mérites et mes capacités exceptionnelles qui avaient entraîné mon triste passage sur le billard de Ness.

Jusqu'à ma sortie, Milan supervisa le tout en parfait chef d'orchestre. La Symphonie que composaient mes amis jour après jour était un véritable hymne à la Joie, à l'amitié, à la Vie!

... J'éclatai en sanglots, submergé par tant d'émotions. Je ne contrôlais plus les spasmes qui s'étaient emparés de mon corps. Mes amis furent surpris et se trouvèrent désemparés. Milan rassura tout le monde, "rien de grave" nous dit-il, "ne vous inquiétez pas, Tom vient de subir une intervention importante et toutes les informations qu'il vient de recevoir sont difficiles à gérer pour l'instant. Il vaudrait mieux le laisser se reposer un peu. Revenez en fin d'après-midi et pas plus de deux personnes à la fois pour l'instant. Il doit récupérer. Je comprend votre désir d'être à ses côtés et de l'aider à retrouver sa mémoire, mais il faut y aller progressivement." Il posa sa main sur mon épaule et fit un clin d'œil à mes acolytes. Tous me témoignèrent une marque d'affection avant de quitter la chambre et je ne mis pas longtemps à retourner dans...

un sommeil plein de rêves, de vieux fantômes, d'images plus ou moins claires....

Toc toc!....Toc, toc!!

Je me redressai dans le lit. Mais...mais je n'étais plus à la clinique?!.. je n'avais plus de bandages.. plus de perfusion! Je reconnaissais la décoration élégante de la chambre d'ami chez Gabrielle. Je n'en revenais pas!! J'étais revenu?

- Bonjour, Tom, je peux entrer? demanda Gabrielle, en passant la tête par la porte entr'ouverte. Tu as bien dormi?

- ...?? Gabrielle? comment suis-je arrivé ici? quand je me suis endormi, j'étais à l'hôpital et..

- Voyons, Tom! Tu es rentré hier après midi. Les amis sont venus te voir, puis t'ont laissé te reposer et tu as dormi jusqu'à présent. Tu en avais sans doute besoin. Milan m'a expliqué que c'était tout à fait normal et m'a conseillé de ne pas te réveiller avant ce matin.

Je tâtais mon crâne, seul un pansement subsistait.

- Un infirmière viendra pour les soins qu'il reste. Tu pourras continuer ta convalescence ici avant de voler de tes propres ailes. Milan et son équipe ont été émerveillés de ta rapidité de récupération. Tu es vraiment un sacré bonhomme!

Je lui souris. Quelle générosité extrême me prodiguait cette femme remarquable que je connaissais si peu! " Ce n'est pas moi qui suis "sacré" mais vous tous, Gabrielle. Avec votre amitié, vous avez fait se décupler ma force et mon courage qui m'ont mené plus vite à la guérison. Merci!!"

- Si tu veux, ajouta-t-elle en souriant, mais pour moi tu restes un héros, c'est tout!! Bon, si nous passions aux choses pratiques à présent? Tu peux te lever, je pense, puisque tu l'as déjà fait à la clinique? Ok? Alors, je vais te préparer ton petit déjeuner dans la cuisine.. prends ton temps, et rejoins moi là-bas..

...

....face à l’océan,une légère brise venant du retour de l'air marin,  nous allons nous  couvrir ... Vos meilleurs plats Tom, que désirez-vous savourer, qu'à votre palet serait velours?...Gabrielle dit Tom, n'importe quoi venant de vous, tout mets doux au palet, je renais, et vous êtes là comme une fleur entre les doigts, votre parfum éveil des souvenirs trop flou, même opéré et libre, votre présence ne m’aie pas inconnu, je ressens une vibration à votre parfum... Tom, voici ma suggestion pour le petit déjeuner: Crêpes, œufs bénédictine au saumon fumé et ses accompagnements, le déjeune une soupe aux poissons servie avec pain sortant du four et votre dîner  :  Entrée de 3 fromages: bleu accompagné de confiture de  piment jalapeño, une brie au sirop d'érable et aux pécans et un gruyère en canapé, magret de canard à l'érable au pesto coulis de vinaigre de balsamique, et ce soir le dessert, un fondant au chocolat noir servis avec une salade de fruits maison, qu'en pensez-vous Tom, le menu vous plait pour aujourd'hui.....

- Houla!! Gabrielle, petit-déjeunons d'abord, non? Mon estomac doit reprendre lentement ses activités après les repas allégés de la clinique.

- Oui c'est vrai! chaque chose en son temps ! me répondit elle en me servant un vrai café et une bonne brioche parfumée maison. Elle s'installa en coin de table de façon à pouvoir discuter avec moi et ne pas perdre le paysage magnifique qui s'offrait à nous. Le temps, un peu frais encore ce matin, promettait être très clément dans la journée. La tempête s'était bien calmée mais laissait d'énormes dégâts derrière elle.

Gabrielle m'incita à prendre des fruits et manger un peu plus. "Tu es pâle. Cet après midi, Milan viendra te rendre visite. S'il a du temps, tu devrais en profiter pour aller faire un tour avec lui et puiser l'énergie de l'océan."

Cette idée me plaisait bien, même si je me sentais encore fatigué. Mais j'avais besoin de marcher librement à nouveau, de bouger, je sentais monter en moi la sève de l'action après ces semaines d'arrêt sur image. Et si mon corps était encore réticent, ma raison et ma volonté seraient plus fortes!

Dans la journée, j'eus encore la visite de quelques amis qui continuèrent de me donner "des cours sur ma mémoire". Il me semblait peu à peu devenir une autre personne que l'homme que j'étais il y a quelques mois, se réveillant sur un trottoir de Lille. C'était comme si on avait rempli d'un nectar de vie, un corps complètement exsangue et inerte.

... Dans l'après-midi, Milan était venu me chercher et nous avions fait quelques pas sur la plage. Ce fut vivifiant, cette nouvelle liberté m'enivrait. Je ne pouvais m'empêcher de penser à l'avenir, quel sera-t'il ? En rentrant de notre ballade, Gabrielle, Anatoly et Natacha étaient là, nous attendant.

     "Vous savez, j'ai eu une idée à la clinique. Un après-midi, durant un cours instant sans visite, repensant à notre histoire commune et à la mienne en particulier, laquelle est plus ou moins atypique il faut le reconnaître ; Je me suis dis qu'une fois cette aventure terminée, nous pourrions en faire un livre. Il y aurait de quoi alimenter un bon polar ne croyez vous pas ? Qu'en pensez vous ?

     - Et bien... 

..moi, je pense que c'est une idée formidable! s'enthousiasma Natacha. C'est vrai que nos histoires, bien écrites, pourraient faire l'objet d'un livre fort intéressant et nous permettraient de garder intactes ce lourd vécu pour le transmettre à notre entourage et même -oui je vois les choses en grand!!- au grand Public!! "

- hum...je ne veux pas être rabat-joie, s'excusa Anatoly en toussotant, mais pour l'instant il y a sûrement plus urgent à faire non?

Oui, il fallait malheureusement que je regarde la triste réalité en face : d'accord j'étais libéré de l'emprise cérébrale dans laquelle me tenaient Ness et le Groupe. Je pouvais enfin aller et venir sans me sentir piégé comme un rat. Mais il fallait à présent que nous passions au chapitre suivant : arrêter pour de bon les agissements de ses monstres. Boris, Milan et Anatoly avaient esquissé un plan d'attaque : mais il fallait notre adhésion à tous. Ils continuaient aussi les recherches pour Ielena et Cristina...peut-être dans un proche avenir devrais-je  partir pour la Russie...il fallait que je me prépare à cette éventualité...

Voilà que toutes ses pensées me replongeaient encore dans une angoisse incontrôlable.

Milan, saisissant mon mal être, me dit d'une voix réconfortante : "Allez, ne te tracasse pas trop à l'avance, Tom. Tout se passera au mieux, j'en suis certain. Ton opération si bien réussie est déjà un signe! il faut bien croire que la Vie n'est pas toujours porteuse de mauvais coups...il y a toujours un Espoir au bout du tunnel!"

Puis se tournant vers Gabrielle " Au fait, n'avais-tu pas une petite surprise pour nous?"

- Si justement, Maxime est arrivé. Nous allons le rejoindre dans la salle de musique, venez les amis! dit-elle avec un large sourire.

Maxime, son fils, lui ressemblait comme deux gouttes d'eau!

Il était déjà installé à son piano, esquissant quelques gammes en attendant que Gabrielle vienne l'accompagner au violoncelle.

Quelques minutes après, la douceur ennivrante de la Sérénade de Schubert chassait sereinement mais fermement l'angoisse et le désarroi qui tentaient de me submerger tout à l'heure.

Les sonates et pièces multiples que nous jouèrent le Duo remplirent nos coeurs de paix et de ravissement. La fin d'après-midi s'acheva ainsi..

dans une harmonie des sens magique. Tous les amis se levèrent comme une seule personne détendue, légère, heureuse..."On dit vraiment bien à propos que la musique adoucit les moeurs" dit Milan, souriant en me regardant.

- C'est vrai, répondis-je, en lui rendant un sourire plein de gratitude.

Je les remerciais tous pour ces instants qu'ils m'offraient. Maxime et Gabrielle avaient pu en quelques minutes nous porter sur un nuage de plénitude et nous en ressortions emplis d'une nouvelle énergie pleine d'espérance...du moins, c'est ce que je ressentais en moi et dans les yeux de chacun de mes amis.

Comme pour approuver ma pensée, Gabrielle ajouta avant que nos visiteurs quittent la Villa :

- "Connaissez-vous cette citation?.. "Prends un bain de musique une à deux fois par semaine pendant quelques années et tu verras que la musique est à l'âme ce que l'eau du bain est au corps."