“Quand tu forces, t’es mort le lendemain” : Antoine témoigne de sa vie avec l’EM
Publié le 12 mai 2025 • Par Candice Salomé
Fatigue écrasante, douleurs diffuses, brouillard cérébrale, malaise post-effort… Antoine, kinésithérapeute passionné et sportif accompli, a vu sa vie basculer après une infection virale. Aujourd’hui, il vit avec l’encéphalomyélite myalgique (EM), une maladie méconnue et trop souvent minimisée. Dans cet entretien sans filtre, il revient sur le déni du corps médical, l’errance diagnostique, sa colère face à un système qui fabrique du handicap, et l’importance vitale du pacing pour survivre au quotidien. Un témoignage fort, révolté, nécessaire.

Bonjour Antoine, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous commencer par vous présenter ?
Je m'appelle Antoine, j'ai 37 ans. Je vis avec ma compagne et nous avons deux enfants de 5 et 2 ans. Avant ma maladie, j'étais kiné du sport et en formation pour devenir guide de montagne en Autriche. Je faisais 20h de sport par semaine : escalade, ski de fond, alpinisme, ski de rando… Aujourd’hui, je ne peux plus marcher plus de 100 mètres, rester debout trop longtemps ni utiliser trop longtemps (quelques minutes) mes bras pour des activités simples comme cuisiner ou bricoler. Je ne peux pas non plus me concentrer longtemps sur un écran ou un livre. J’ai dû arrêter ma formation de guide et vendre mon cabinet. J’ai perdu tout ce qui composait ma vie.
Avec l'aimable autorisation d'Antoine
L’enfer de l’EM, une maladie invisible
Pourriez-vous nous parler de votre quotidien avec l’encéphalomyélite myalgique (EM) ?
Vivre avec l’encéphalomyélite myalgique (EM), c’est comme être constamment pris dans un mélange de trois états bien connus, mais violents :
- Une grippe sévère, de celles qui te clouent au lit,
- Le mal aigu des montagnes, quand tu montes trop haut trop vite, au-dessus de 4000 mètres,
- Une gueule de bois écrasante.
Ce cocktail-là, tu le ressens tous les jours, avec une intensité qui fluctue selon l’évolution de la maladie et la manière dont tu parviens à la gérer.
Les symptômes quotidiens incluent des maux de tête intenses, des nausées, des douleurs musculaires et nerveuses (paresthésies), et surtout un épuisement extrême. Ce n’est pas de la fatigue ordinaire, mais une sensation d’être à la limite du malaise, comme en cas d’hypoglycémie sévère.
Mais au-delà de ces symptômes, ce qui rend l’EM si particulière et si handicapante, c’est l’intolérance à l’effort. C’est le cœur du problème. À partir d’un certain seuil, chaque activité – physique ou cognitive – peut provoquer un effondrement brutal de l’organisme. Peu de gens, même dans le milieu médical, connaissent ce phénomène. Il ne s’agit pas simplement de se sentir fatigué après avoir trop bougé. C’est un dérèglement profond des mitochondries, qui transforment l’oxygène en énergie. Et chaque effort, qu’il soit physique ou mental, qui dépasse ta limite, te coûte cher.
Un « crash » (ou malaise post-effort) est une aggravation brutale et prolongée de l’état général du patient, survenant généralement dans les 48 à 72 heures après un effort – même minime – et pouvant durer plusieurs jours, voire des semaines. Ce qui rend la situation encore plus complexe, c’est que cette limite n’est pas fixe. Elle varie en fonction de ton état, du stress, du sommeil…
Il faut donc apprendre à connaître ses limites et à ne jamais les dépasser. Pour ma part, c’est principalement la marche qui déclenchait ces crashs. Depuis que j’ai réduit mes marches à moins de 100 mètres, mon état s’est stabilisé, voire légèrement amélioré.
Le début de la maladie : un changement brutal
Comment cette maladie a-t-elle commencé pour vous ?
J'ai attrapé le COVID en janvier 2022. Les premiers symptômes ressemblaient à ceux d’une grippe. Ensuite, je me suis senti mieux. Mais dans les semaines qui ont suivi, des symptômes étranges sont apparus. Lors de mes sorties en ski de fond, je commençais à avoir des crampes, ce que je n'avais jamais eu auparavant. J'avais aussi des douleurs thoraciques dans les montées. Et surtout, chaque lundi et mardi, après des week-ends sportifs, je me retrouvais dans un état grippal intense, incapable de rester debout au travail, obligé de m’asseoir sous peine de m’évanouir. Parfois, je faisais des sortes de malaises avec nausées et vomissements, proches d’une crise d’hypoglycémie. Après un ou deux jours de repos sans sport, je me sentais un peu mieux.
Comment avez-vous réagi au début de ces symptômes ?
Je pensais que j'enchaînais des infections virales. J’ai donc continué ma vie comme avant : je bossais la journée et le soir, je faisais de l’escalade ou je courais. Les week-ends, ski de fond, ski de rando, cascades de glace. J’alternais des journées « pas trop mal » et d’autres où je me sentais très mal. J’ai commis une grave erreur : j’ai forcé. Ce que je prenais pour des infections répétées, c’étaient en réalité des malaises post-effort, des « crashs ».
Et c’est là que le problème est mal compris, même par les professionnels de santé. Ce n’est pas juste « je suis fatigué après l’effort ». C’est un dérèglement des mitochondries, qui produisent l’énergie du corps. Chaque effort, même minime, te coûte cher et aggrave la maladie. Et plus tu fais de « crashs », plus tu abaisses ta limite et plus ton état se dégrade.
Les premiers crashs, je les ai provoqués moi-même, ne sachant pas que cette maladie existait – elle n’a jamais été abordée dans ma formation médicale. Mais les suivants, ce sont des professionnels qui me les ont fait faire : en me conseillant de continuer à forcer ou en me soumettant à des tests d’effort inutiles. Résultat : j’ai fini alité 23h30 sur 24 pendant presque deux ans. C'est quand même un sketch d'aller voir des professionnels de santé et que leur prise en charge te rende de plus en plus handicapé !

Avec l'aimable autorisation d'Antoine
Les symptômes de l’EM : une souffrance continue
Quels sont les symptômes qui vous gênent le plus au quotidien ?
J'ai fait un crash très sévère après une consultation au centre Covid Long de Nancy.
J’étais déjà affaibli, et cet épisode m’a plongé dans une forme grave de la maladie pendant près de deux ans. J’étais allongé entre 23h et 23h30 par jour, incapable de rester assis sans que mon état ne se dégrade. C’était une souffrance constante.
Je présentais alors tous les symptômes du Covid long et de l’EM : douleurs musculaires permanentes, essoufflement, douleurs thoraciques, paresthésies, fasciculations (petite contraction musculaire locale involontaire visible sous la peau), syndrome de Raynaud, sensation quasi permanente de perte de connaissance, nausées et vomissements dès que je restais debout trop longtemps. Dès que j’essayais de marcher, les malaises revenaient immédiatement. Franchement, dans cet état, il est difficile de dire quel symptôme est le plus handicapant.
Depuis que je suis suivi par un des rares médecins formés à ces pathologies, j’ai pu apprendre à me gérer. Mon état s’est légèrement amélioré, à condition d’éviter tout effort, physique ou mental.
Aujourd’hui, l’intolérance majeure à l’effort et à la station debout prolongée restent mes symptômes principaux. Si je respecte mes limites, j'arrive à réduire l'intensité de mes symptômes à un degré de souffrance acceptable. Si je force, même un peu, en marchant ou en restant debout, les symptômes s'intensifient : douleurs, étourdissements, nausées… Je dois donc m’auto-limiter en permanence.
Est-ce que tous ces symptômes sont présents en même temps ?
Ils peuvent l’être. Ce n’est pas une liste figée. Il y a des jours où certains s’atténuent, d’autres où ils reviennent en force. Je commence à repérer les signes d’un crash à venir : il survient toujours après une activité excessive, même très légère.
Quand ça arrive, tous les symptômes s’intensifient. Et si je n’agis pas vite, je rechute. Le seul moyen d’éviter ça, c’est le repos total, immédiatement : allongé, dans le noir, sans bruit, sans écran, sans stimulation. C’est la seule façon d’arrêter la spirale et de récupérer un peu.
Rééducation à l'effort vs pacing : deux visions opposées
Vous avez mentionné que certains médecins vous avaient conseillé la rééducation à l’effort. Que pensez-vous de cette approche ?
Ce n'est pas certain, c'est la grande majorité ! Ceux qui ne vous conseillent pas la rééducation, ils vous disent que vous êtes un cas psychosomatique !
Pour répondre à votre question, c’est une hérésie totale. C’est l’équivalent de donner des cigarettes à un patient atteint d’un cancer du poumon, ou de recommander de l’alcool fort à une personne atteinte de cirrhose du foie.
Prescrire de l’activité physique ou de l'exercice à des malades souffrant de malaises post-effort — comme dans les cas d’encéphalomyélite myalgique (EM) ou de Covid long sévère — c’est criminel. Ce type de recommandation crée littéralement des handicapés.
Certains malades auraient peut-être pu récupérer partiellement, voire totalement, s’ils n’avaient pas été poussés à “bouger” ou à “se rééduquer” trop tôt, surtout durant la première année de leur maladie. Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est que ce genre de conseils figure clairement dans les recommandations officielles de l’ARS. C’est un véritable scandale sanitaire. Cela prouve que beaucoup de professionnels n’ont toujours rien compris à cette pathologie — et peut-être qu’ils n’ont même pas envie de comprendre.
Il existe aujourd’hui une idée bien ancrée dans le monde médical — que j’ai moi-même observée en tant que kinésithérapeute — selon laquelle l’activité physique ferait systématiquement du bien à tous les malades. On parle de sport-santé comme d’un remède universel. Pour certaines pathologies, cela aide en effet. Mais pour les personnes présentant une intolérance systémique à l’effort, c’est une erreur majeure. Cela devrait être reconnu comme une contre-indication formelle à toute forme de rééducation à l’effort. C’est une réalité qu’on devrait enseigner durant les formations en kinésithérapie et en médecine : chez ces patients, l’effort est nocif !
Qu'est-ce que le pacing ?
Le pacing est en contradiction totale avec la rééducation à l'effort.
Avec cette stratégie, on ne cherche pas à repousser ses limites, on doit au contraire rester en deçà de ses limites. Le pacing, c'est le fait d'intégrer régulièrement entre les activités (même les activités très légères) des moments de repos total sans stimulation.
Cette approche contre-intuitive est fondamentale pour se donner les chances de stabiliser son état. L’objectif du pacing n’est PAS d’augmenter l’activité, mais de limiter au maximum les malaises post-effort. L’augmentation d’activité peut être un bénéfice secondaire mais ce n’est pas un objectif du pacing et elle n’est pas garantie.
Est-ce que cette approche du pacing a changé votre quotidien ?
Après la prise en charge désastreuse au Centre Covid Long de Nancy, j’étais alité environ 22h sur 24, et ça a duré un an et demi.
Deux choses m'ont permis de m'améliorer un peu. Je prends des antihistaminiques H1 et H2 tous les jours, depuis que je suis suivi par un infectiologue à Paris qui s’intéresse à ces maladies post-virales depuis très longtemps.
C’est aussi lui qui m’a conseillé d’appliquer strictement le pacing. À cette époque, vu que j’étais très mal, ça voulait dire passer des heures dans le noir à ne rien faire, sans aucune stimulation — sans écran, sans musique, sans rien. Alors que les médecins non formés à ces maladies me conseillaient de m’activer, lui m’a conseillé de faire exactement l’inverse. Et c’est ça qui m’a permis d’aller un petit peu mieux. C’est pour ça qu’aujourd’hui, en tant que professionnel de santé spécialiste de la rééducation, je ne peux pas accepter qu’on continue de conseiller des choses dangereuses à des gens malades.
La révolte contre le système médical
Que ressentez-vous face à l’attitude des médecins ?
J’ai d’abord ressenti une profonde colère, mêlée à une incompréhension totale. C’était insupportable de vivre dans un état de souffrance physique intense, et de me retrouver face à des professionnels de santé censés m’aider, mais qui au lieu de cela dénigraient mes symptômes. Ils me répondaient avec des explications absurdes, parfois contradictoires : soit j’étais un "cas psy", soit on me disait que j’étais simplement "déconditionné" et qu’il fallait que je fasse plus d’efforts, comme si mes douleurs n’étaient qu’une question de volonté.
Au fond, on me renvoyait l’image d’une « feignasse dépressive !! ». Avec du recul, je me rends compte que ce que j’ai vécu n’est qu’un écho d’une histoire qui se répète. Les personnes épileptiques, au XIXe siècle, étaient perçues comme possédées par le démon. Dans les années 1960, les malades atteints de sclérose en plaques étaient souvent considérés comme des hystériques. Et que dire de la théorie des "4 H" autour du sida dans les années 1980, qui affirmait que la maladie ne concernait que les Haïtiens, les homosexuels, les héroïnomanes et les hémophiles ?
Il est évident que dénigrer les malades a toujours permis de détourner l’attention des véritables enjeux. En niant leur souffrance, on évite de s’attaquer aux causes profondes des maladies et on évite surtout de mobiliser les ressources nécessaires à la recherche. Cela permet aussi de préserver un système qui ne veut pas investir dans des solutions, préférant attribuer la responsabilité des souffrances aux patients eux-mêmes.
Pourquoi cette colère est-elle si forte chez vous ?
Je suis en colère, car l'encéphalomyélite myalgique est reconnue par l'OMS depuis 1969 et figure dans la classification des maladies en France. Pourtant, elle n'est pas enseignée en fac de médecine ou en école de kiné, il n'y a pas de recommandations officielles et la recherche reste insuffisante. Ce qui est scandaleux, c'est que, au lieu d’une prise en charge adaptée, on fait passer les malades pour des cas psychologiques, leur attribuant à tort des diagnostics de dépression. De plus, on leur propose des thérapies inadéquates, comme la rééducation à l’effort, qui aggrave leur état. Cela va à l'encontre du droit à la santé garanti par la Constitution française.
En niant la réalité de leur souffrance et en leur offrant des traitements inappropriés, on les prive d'une véritable prise en charge, ce qui constitue un véritable scandale.
Un dernier mot à partager ?
L'EM est une maladie fréquente. Elle concerne plus de malades que la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson réunies.
Elle est grave et invalidante avec des scores de qualité de vie parmi les plus bas des maladies chroniques.
De nombreuses études le prouvent.
Elle est reconnue par l'OMS et est présente dans la classification Internationale des Maladies.
Il n'y a donc aucune raison qu'elle ne soit pas prise en compte aussi sérieusement que les autres maladies.
Il est temps que cela change.
L'EM et les syndromes post-infectieux doivent être décrétés « Grande Cause Nationale » !
Un grand merci à Antoine pour son témoignage !
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