“Je suis alitée 24h/24” : une patiente atteinte d’EM témoigne
Publié le 17 juil. 2025 • Par Candice Salomé
Quand le corps se met en pause sans prévenir, que chaque mouvement déclenche un effondrement, la vie bascule dans une réalité dont peu peuvent mesurer l’ampleur.
Ce témoignage dévoile l’expérience d’une femme dont l’énergie se réduit à une fraction, coincée entre hypersensibilité extrême et isolement total. Loin des idées reçues, c’est un appel à comprendre une maladie, l'encéphalomyélite myalgique (EM/SFC), qui se cache derrière un silence lourd de conséquences.

Bonjour, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous commencer par vous présenter dans les grandes lignes ?
Je suis @a_la_oneagain_again. J’ai la quarantaine, je suis maman solo, et avant de tomber malade, j’étais hyperactive : je faisais jusqu’à 4 heures de sport par jour, en plus d’un travail, un complément d’activité et d’une vie familiale bien remplie. J’étais toujours en mouvement, toujours en projet — surtout quand il s’agissait de projets humains et à impact.
Aujourd’hui, je vis avec une encéphalomyélite myalgique (EM) sévère, un syndrome d’activation mastocytaire (SAMA) sévère, une dysautonomie cardiaque et une adénomyose. Je suis alitée 24h/24, avec environ 10 % d’énergie par jour. Mais malgré tout ça, je continue à sensibiliser depuis mon lit, sur les sujets qui me tiennent à cœur.
Avec l’aimable autorisation de @a_la_oneagain_again
Comment s’est déroulée l’apparition des premiers symptômes ? À quel moment avez-vous compris qu’il s’agissait de pathologies chroniques complexes ?
En février 2020, j’ai été très malade pendant plusieurs semaines : grosse fatigue, toux, sensation d’oppression, difficultés respiratoires. 3 semaines après, j’ai repris ma vie normalement, avec juste quelques gênes respiratoires à l’effort. Rien d’alarmant, un peu comme de l’asthme à l’effort.
Mais fin 2021, tout a basculé. Quinze jours après ma troisième dose de vaccin, j’ai commencé à ressentir une fatigue écrasante, des douleurs diffuses, une hypersensibilité brutale à tout : lumière, sons, odeurs… Mon corps s’est littéralement effondré.
Je pensais que ça passerait. J’ai attendu. Espéré. Mais rien ne revenait à la normale.
Le diagnostic d’encéphalomyélite myalgique, de syndrome d’activation mastocytaire et de dysautonomie a-t-il été long à poser ?
C’était à la fois long… et rapide comparé à bien d’autres personnes...
J’étais suivi par un professeur pendant presque deux ans, et ça n’a mené à rien, hormis la détection d’un cancer pour lequel j’ai été opérée rapidement.
C’est en juillet 2023 qu’une personne atteinte d’EM a vu mon témoignage sur les réseaux et m’a tendu la main. Elle a reconnu immédiatement les signes. C’est grâce à elle que j’ai pu m’orienter vers l’association Millions Missing France, puis vers un médecin sensibilisé à la maladie.
Ce médecin a posé le diagnostic d’EM, ainsi qu’une dysautonomie cardiaque et un syndrome d’activation mastocytaire sévère. Un TEP-IRM cérébral a conforté le diagnostic d’EM en montrant un hypométabolisme amygdalo-hippocampique, cérébelleux et des régions corticales postérieures, en faveur d'un profil métabolique type SFC/MFM sévère.
Vous vivez aujourd’hui alitée en continu, avec une hypersensibilité sensorielle extrême. Comment décririez-vous votre quotidien ? Vos symptômes et manifestations ?
Depuis fin janvier 2024, je vis alitée en continu dans une pièce sombre, sans bruit, ni odeur, en évitant toute stimulation. Je vivais déjà confinée et majoritairement allongée depuis la fin de l’été 2023.
Mon symptôme le plus difficile reste le crash « coma » (malaise post-effort), au-delà des autres crashs que je dirais normaux…
Les symptômes quotidiens, ça peut être un ou plusieurs : dérégulation de la température (je suis souvent glacée), engourdissements, fasciculations (petites contractions musculaires locales involontaires visibles sous la peau), tremblements, douleurs nerveuses / musculaires / articulaires, douleurs de la face gauche, hypersensibilité sensorielle, sensations d’état d’ébriété, fortes inflammations des muqueuses… et j’en passe — la liste est bien trop longue.
J’alterne également des périodes d’insomnie avec adrénaline à des périodes d’hypersomnie.
J’appelle mes crashs "crash coma" car c’est comme si je n’existais plus : je me débranche, je deviens un poids mort. Je ne sais jamais quand je vais revenir. C’est un peu comme si j’étais morte, coincée entre deux mondes, semi-consciente, avec des sortes d’hallucinations. On pourrait penser que je dors de l’extérieur, car j’ai les yeux fermés et suis immobile, et ça peut durer de quelques heures à plusieurs heures sur plusieurs jours. J’ai souvent du mal à respirer normalement, c’est très lourd…
Mes journées sont très courtes. Je vis au ralenti. Ça se résume à : manger, faire mes besoins, passer quelques moments avec mes enfants, un peu de réseaux, mon asso, et quelques messages quand je peux. Les appels sont trop compliqués pour moi : je crash direct, donc j’évite. Je parle très peu dans une journée, parfois pas du tout. Et au maximum, peut-être une heure dans la journée.
Quelles sont les plus grandes difficultés physiques et psychologiques liées à votre état de santé ?
La chose la plus difficile pour moi, c’est de ne plus pouvoir profiter avec mes enfants comme avant. Ne plus pouvoir aller à l’école, ne plus faire d’activités, tant dehors qu’à la maison…
Psychologiquement, je tiens. Non pas parce que c’est facile, mais parce que je refuse de m’imposer une double peine. Mon état est déjà compliqué : m’apitoyer sur mon sort ne ferait que renforcer la spirale. J’essaie d’exploiter ce qu’il me reste du mieux que je peux.
Ce qui est violent, c’est de disparaître malgré soi. De devoir, en quelque sorte, renoncer à exister librement, et de voir les autres continuer à vivre normalement.
Physiquement, tous les gestes sont compliqués. Je vis H24 en pyjama, sans pouvoir me laver quotidiennement — entre une fois par semaine et parfois jusqu’à trois semaines ou plus — je ne peux plus marcher plus de quelques pas, je ne peux plus me faire à manger, etc.
Je ne peux plus non plus prendre soin de moi. Et honnêtement ? Je ressemble plus aux zombies de The Walking Dead qu’à une version humaine de moi-même. Mais sans le maquillage, et sans effets spéciaux.
Pour le coup, il y a un gros stop, que tu le veuilles ou non. Tu n’as plus le choix de faire ce que tu veux, comme tu veux. Et croyez-moi, même avec tout le mental du monde !
Avez-vous accès à une prise en charge médicale adaptée ? Si oui, quels sont les professionnels ou traitements qui vous accompagnent actuellement ?
Pour l’EM, il n’existe aucun traitement curatif. Le seul moyen de stabiliser un peu la maladie, c’est de traiter les symptômes et le pacing (stratégie de gestion du rythme d’activité) : un « repos » total, dans le noir, sans son, sans stimuli — même sans penser.
C’est une discipline très difficile à appliquer quand on n’a jamais su se poser. C’est un peu comme le sport : il faut apprendre à s’appliquer et à être régulier.
Pour le syndrome d’activation mastocytaire, je prends des antihistaminiques, des stabilisateurs de mastocytes et des injections de Xolair. Mais je dois sans cesse adapter selon mes réactions. C’est une gestion au jour le jour.
Sinon, c’est ma maman qui m’aide chaque jour. Je devrais bénéficier d’une PCH, mais je n’en ai pas. Mon premier dossier MDPH n’était pas bien rempli — quand on n’a jamais été malade, on ne sait pas quoi y mettre concrètement. Mis à part dire que je m’éteignais chaque jour et que j’étais incapable de me projeter.
Même après un rapport médical mentionnant le besoin d’aide humaine et l’alitement supérieur à 22 h/24, ma demande a été à nouveau refusée.
Quelles précautions devez-vous prendre pour éviter une aggravation de vos symptômes au quotidien ?
Je ne dirais pas que tout est millimétré, mais j’essaie de tout limiter, parce que j’ai tendance à dépasser mon seuil d’effort malgré toutes les limitations.
Pas de visite surprise, pas de parfum, pas de bruit, pas de lumière. Je m’économise du mieux que je peux.
Et même quand une sortie est prévue — et là on parle principalement d’un rendez-vous médical — je sais que ça me provoquera un crash. C’est inévitable.
Un seul imprévu peut tout faire basculer, me faire plonger dans un crash profond.
Je gère mon énergie comme une ressource ultra-limitée. C’est un équilibre extrêmement fragile.
Dans votre situation, comment parvenez-vous à garder un lien avec le monde extérieur malgré l’isolement et les contraintes sensorielles ?
Je garde un lien grâce aux réseaux sociaux. J’utilise l’intelligence artificielle pour m’aider à structurer mes idées, rédiger, formuler.
Ça me permet de continuer à créer du contenu.
C’est un espace d’expression, de militantisme, et quelque part, de survie aussi.
Après, il faut être lucide : les amis ne sont plus vraiment là, et quelque part, c’est compréhensible… leurs vies à eux ne se sont pas arrêtées.
J’évite les débordements, je ne vois que très rarement les gens, je ne fais jamais de visio, et très rarement des appels.
Malgré les limites physiques imposées par la maladie, vous sensibilisez sur ces pathologies invisibles. Qu’est-ce qui vous motive à porter cette parole ?
Beaucoup de personnes vivent ça sans savoir ce qu’elles ont, et finissent par douter d’elles-mêmes.
Sensibiliser, c’est briser les idées reçues.
Ce n’est pas psychologique. Ce n’est pas une fatigue.
C’est une maladie neurologique multisystémique grave.
Je refuse que nous soyons invisibles, et invisibilisé·es.
Prendre la parole, même faiblement, c’est dire : on existe. Encore plus pour ceux qui ne peuvent même plus faire.
Et ce que l’on vit mérite d’être reconnu.
Qu’aimeriez-vous que le grand public, mais aussi les professionnels de santé, comprennent mieux à propos de l’EM, du SAMA ou de la dysautonomie ?
Que ce qu’on vit n’a rien à voir avec une simple fatigue, c’est bien plus que cela !
Ces maladies sont biologiques, complexes — pas psychologiques.
Mais parce qu’elles ne sont pas enseignées, elles sont niées. Trop de malades sont psychiatrisé·es à tort, abandonné·es. Il faut des formations, des protocoles, des soins adaptés.
Ce n’est pas une fatalité médicale. C’est une injustice.
Quels sont vos espoirs pour l’avenir, que ce soit sur le plan personnel ou en matière de reconnaissance et de recherche médicale ?
Sur le plan personnel, j’espère améliorer un peu ma qualité de vie. Pouvoir redescendre. Passer plus de temps avec mes enfants. Pouvoir me laver plus souvent. Supporter un peu plus de lumière, un peu plus de présence.
Sur le plan collectif, j’espère une vraie reconnaissance de ces pathologies, une recherche publique, une formation massive des soignant·es, et des droits concrets pour les malades. Mais surtout, des financements pour l’EM, dans l’espoir que nous ayons un traitement.
Un dernier mot ?
On peut disparaître aux yeux du monde, sans jamais avoir cessé d’exister.
Ce n’est pas parce qu’on ne nous voit plus qu’on n’a plus besoin d’aide, de reconnaissance ou de dignité.
Vivre enfermée dans un corps qui ne répond plus, ce n’est pas une vie que l’on choisit.
Alors, à défaut de pouvoir marcher, courir ou crier, je parle ici.
Pour moi, et pour toutes celles et ceux qu’on continue de faire taire.
Un grand merci à @a_la_oneagain_again pour son témoignage !
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