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« Même réduite au silence par la maladie, ma voix reste là » : Clémence, atteinte d’encéphalomyélite myalgique, témoigne

Publié le 12 nov. 2025 • Par Candice Salomé

Avant 2016, Clémence menait une vie pleine d’élan : jeune étudiante en psychologue passionnée, sportive, curieuse, tournée vers les autres et avide d’apprendre. Mais quelques semaines avant l’obtention de son diplôme, tout a basculé. Une chute brutale, un corps qui lâche sans explication, puis des années d’errance médicale. Le verdict finira par tomber : encéphalomyélite myalgique (EM), une maladie chronique encore trop méconnue, qui plonge celles et ceux qui en souffrent dans l’invisibilité et la solitude. 

Derrière les mots de Clémence, on découvre le combat d’une femme qui refuse de disparaître derrière son diagnostic. Entre incompréhension médicale, perte d’autonomie et quête de sens, elle a trouvé dans le dessin et la vulgarisation scientifique une manière de « dévoiler l’invisible ». Aujourd’hui, elle partage son histoire pour briser le silence et redonner espoir à celles et ceux qui, comme elle, vivent enfermés dans un corps épuisé. 

« Même réduite au silence par la maladie, ma voix reste là » : Clémence, atteinte d’encéphalomyélite myalgique, témoigne

Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ? 

Je m’appelle Clémence, j’ai 36 ans. Très vite après être tombée malade, j’ai dû retourner vivre chez mes parents, car je n’arrivais plus à m’occuper de moi-même. Depuis, j’y vis toujours. 

J’étais psychologue avant de tomber malade. Je suis de nature curieuse et j’aime apprendre de nouvelles choses. Parmi mes passions, j’aime les dramas asiatiques (en particulier les dramas chinois), ainsi que la lecture de romantasy. J’aime aussi tenir un bullet journal et dessiner sur Procreate.  

Avant la maladie, j’aimais passer du temps dans la nature, pratiquer le canoë-kayak, et je jouais au baby-foot en club et en compétition. 

Vous évoquez une chute brutale en avril 2016, juste avant d’être diplômée. Comment avez-vous vécu cet événement à l’époque ? Était-ce le point de bascule de votre santé ? 

J’ai très mal vécu cet événement. J’ai ressenti un fort sentiment d’injustice, beaucoup de colère. J’étais complètement perdue, tétanisée par le fait de ne pas comprendre ce qui m’arrivait. Je me suis sentie très seule face à cette situation brutale. 

À ce moment-là, je ne mesurais pas encore l’ampleur de la maladie, ni la gravité de ce qui venait de se déclencher

Est-ce que c’était un point de bascule pour ma santé ? Oui, complètement. 

Avec le recul, vous pensez avoir eu des signes avant-coureurs d’une EM. Quels étaient-ils selon vous, et comment s’exprimaient-ils dans votre vie quotidienne ? 

Bien sûr, avec le recul, je me rends compte qu’il y avait déjà des signes avant-coureurs d’une encéphalomyélite myalgique (EM/SFC), même si je ne les comprenais pas du tout à l’époque.  

Je me souviens très bien de journées à l'université avec beaucoup de route, des journées entières de cours, et le soir en rentrant, je m’écroulais sur le canapé, avec une sensation d’épuisement écrasante, des nausées, comme si j’avais couru un marathon.  

Je travaillais aussi chaque année en tant qu’aide-soignante saisonnière, dans un foyer de vie pour personnes handicapées. Et à chaque fois, je n’arrivais pas à finir la saison. Je tombais malade, ou j’étais rattrapée par des symptômes que je ne comprenais pas, mais qui étaient déjà invalidants. 

Vous avez poursuivi et terminé vos études malgré la maladie. Qu’est-ce qui vous a donné la force d’aller jusqu’au bout ?  

Ce qui m’a donné la force d’aller jusqu’au bout, c’est que je pensais à l’époque que ce que je vivais était un burn-out. Je voulais absolument terminer ce diplôme. J’en étais à ma septième année d’études en psychologie, et pour moi, c’était énorme. Je viens d’un bac pro, alors être arrivée jusqu’en Master 2, c’était déjà un très grand accomplissement.  

Je ne voulais pas lâcher. Je tenais à obtenir mon titre, et je voulais vraiment exercer cette profession. Je pensais qu’avec du repos, dans quelques mois ou quelques années, je pourrais reprendre une activité professionnelle.  

Vous avez dû orienter vous-même votre médecin pour être diagnostiquée. Que retenez-vous de cette errance médicale et de ce parcours semé d’embûches ? 

Ce que je retiens de cette errance médicale, c’est une immense solitude et un sentiment d’abandon. Quand on ne met pas de mots sur ce qu’on vit, on doute de soi en permanence. C’est très dur de devoir chercher, expliquer, insister, alors qu’on est déjà malade et qu’on s’aggrave.  

Pendant cette période, j’ai dû tout faire seule : effectuer des recherches, essayer de comprendre ce que j’avais, chercher des professionnels, tester des approches, trouver un médecin traitant, tenter d’ouvrir des droits. Et ça n’arrête pas. Même sans diagnostic clair, il faut se battre pour chaque chose. Et pendant ce temps, mon état se détériorait.  

Ce qui est encore plus difficile, c’est qu’en l’absence de diagnostic, on perd aussi en crédibilité auprès de ses proches, de sa famille. On souffre vraiment, mais comme rien n’est «prouvé», on se heurte souvent au doute ou à l’incompréhension. Et même une fois le diagnostic posé, la maladie reste méconnue, donc il faut encore expliquer, encore se justifier. C’est un double combat.  

Heureusement qu’il y a les réseaux sociaux et les associations. C’est grâce à des témoignages en ligne que j’ai pu mettre des mots sur ce que je vivais, trouver des pistes, des informations concrètes. Sans ça, je ne sais pas combien d’années j’aurais encore perdues.  

On peut rencontrer des soignants bienveillants et à l’écoute, mais aussi des professionnels jugeants, antipathiques, voire maltraitants. Un médecin m’a dit un jour : « Vous êtes belle, jeune et intelligente, vous ne pouvez pas être malade. » C’est aberrant d’entendre ça dans un cabinet médical.  

Derrière le mot “errance médicale”, il y a surtout une absence de diagnostic clair, donc une absence de reconnaissance. Quand on n’a pas une maladie “bien identifiée”, c’est très compliqué d’accéder à ses droits, que ce soit auprès de la CPAM ou de la MDPH.  

C’est un vrai parcours du combattant, à tous les niveaux.  

Vous dites avoir testé de nombreuses approches alternatives. Quelles leçons tirez-vous de ces expériences, parfois bénéfiques, parfois délétères ? 

Dans le désespoir, on est souvent prêt à tout essayer. Cela ouvre la voie à des charlatans qui profitent de cette vulnérabilité, mais aussi à des personnes sincères qui pensent pouvoir aider, sans que cela soit forcément efficace. Ce que j’en retiens malgré tout, c’est que la nutrition et la micronutrition m’ont permis de mettre un pied dans la physiologie du corps humain, de commencer à comprendre son fonctionnement et, pour moi, de mieux saisir ce qui dysfonctionne dans mes maladies à travers les lectures des articles scientifiques. 

Le manque d’information sur les malaises post-effort a contribué à l’aggravation de votre état. Pourquoi ? Qu’aimeriez-vous dire aux professionnels de santé à ce sujet ?  

Personne ne m’a expliqué qu’avec l’encéphalomyélite myalgique, on pouvait faire des malaises post-effort. Pourtant, c’est un symptôme central et il a des conséquences dramatiques sur la physiologie du corps.  

Un malaise post-effort n’est pas juste de la fatigue après un effort. C’est une réaction anormale où le corps perd sa capacité à récupérer : le système immunitaire, nerveux et métabolique se dérèglent. Chaque dépassement de limites entraîne une dégradation supplémentaire, invisible mais bien réelle.  

Moi, j’étais dans un état modéré. À force de dépasser mes limites, sans qu’on me mette en garde, je suis passée au stade sévère, puis sévère ++. C’est pourquoi il est crucial d’informer clairement les patients et les professionnels de santé : il faut absolument éviter les malaises post-effort, car ils accélèrent l’aggravation de la maladie.  

Aujourd’hui, votre quotidien est profondément altéré. Comment gérez-vous psychologiquement cette perte d’autonomie et cette solitude imposée ?   

Je ne le vis pas bien. Perdre son autonomie, c’est perdre le contrôle sur tout ce qui paraissait acquis. On ne s’imagine pas devenir dépendante à 35 ans, ce n’est pas quelque chose qui fait partie de la représentation sociale.  

La solitude imposée est sans doute ce qu’il y a de plus difficile. C’est insupportable, vraiment horrible à vivre. Et aujourd’hui, je pense à toutes les personnes très handicapées, ainsi qu’aux personnes âgées, qu’elles soient à domicile ou en structure, qui doivent elles aussi subir cette solitude au quotidien.  

Heureusement, je suis accompagnée psychologiquement par une psychologue, d’une manière assez atypique. Je ne peux pas faire de consultation en présentiel, ni par téléphone ou en visio. Elle s’adapte donc à mes contraintes, et ça m’aide beaucoup.  

Vous avez créé la page @devoiler.l.invisible où vous informez, dessinez et vulgarisez. Qu’est-ce que ce projet vous apporte aujourd’hui ? 

Oui, ce projet me donne un espace pour exister autrement que comme « malade passive ».  

J’ai commencé par le dessin, sans prétention, simplement pour m’occuper. Puis j’ai eu envie de partager et d’illustrer mon quotidien. Ce qui me plaît avant tout, c’est de comprendre : essayer de saisir ce qui dysfonctionne physiologiquement, lire l’actualité scientifique, formuler des hypothèses, puis retranscrire ces informations sous forme de traduction et de vulgarisation pour les autres.  

Même si mes capacités sont très limitées, cette page me permet de créer du lien et de transformer quelque chose de très dur en un outil de compréhension et de sensibilisation. C’est aussi une façon de reprendre un peu de pouvoir face à la maladie.  

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Avec l'aimable autorisation de Clémence

Enfin, malgré les conditions extrêmement difficiles, y a-t-il une chose que vous souhaitez transmettre aux autres malades ou à la société ? Un message d’alerte, ou peut-être d’espoir ? 

L’encéphalomyélite myalgique est une maladie grave, souvent invisible, qui détruit des vies. Des milliers de personnes restent enfermées dans l’ombre, privées de reconnaissance, de médecins formés et de soins adaptés à leurs besoins. Il est urgent que la société mesure l’ampleur de la situation et agisse enfin. Pourtant, je veux aussi transmettre une note d’espoir : en lisant chaque jour la littérature scientifique, je vois apparaître des pistes sérieuses. Je crois sincèrement qu’il sera possible, dans un avenir proche, de trouver des moyens d’apaiser drastiquement certains symptômes et d’améliorer nettement notre qualité de vie.  

Un dernier mot ?  

N’oubliez pas que derrière chaque malade, il y a une vie suspendue qui mérite d’être entendue. Nous ne demandons qu’une chose : cesser de survivre, cesser de souffrir, et pouvoir recommencer à vivre. Même réduite au silence par la maladie, ma voix reste là pour rappeler que nous existons. 

 

Un grand merci à Clémence pour son témoignage !

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Prenez soin de vous !

avatar Candice Salomé

Auteur : Candice Salomé, Rédactrice Santé

Créatrice de contenus chez Carenity, Candice est spécialisée dans la rédaction d’articles santé. Elle a une appétence particulière pour les domaines de la psychologie, du bien-être et du sport.

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