"J’ai appris à me faire passer en priorité" : le parcours d’Eva avec la sclérose en plaques
Publié le 30 mai 2025 • Par Candice Salomé
Comment continuer à travailler, élever ses enfants et préserver son équilibre quand la maladie s’invite dans le quotidien ? Diagnostiquée d’une sclérose en plaques à 33 ans, peu après la naissance de sa première fille, Eva a vu son quotidien se transformer. Entre traitements lourds, périodes de rééducation, déménagement, naissance de son deuxième enfant et reprise progressive du travail, elle partage aujourd’hui son expérience sans détour, en tant que femme, mère et professionnelle du secteur social.

Bonjour Eva, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous commencer par vous présenter ?
Je m’appelle Eva, j’ai 39 ans. Je suis assistante sociale. J’ai une petite fille de 6 ans et un bébé de quelques mois. Je suis fiancée et vais me marier cet été !
Je fais de la danse depuis toute petite et j’en fais encore aujourd’hui, et j’en ferai tant que mon corps est d’accord.
Avec l’aimable autorisation d’Eva
Vous avez été diagnostiquée de la SEP en 2019, après avoir remarqué vos premiers symptômes autour du premier anniversaire de votre fille. Pourriez-vous nous raconter comment ces premiers signes ont été vécus et comment vous avez réagi ?
J’ai eu des fourmillements dans une partie du visage et du crâne. Dans un premier temps, ma médecin a pensé à un zona mais, 3 semaines plus tard, rien n’avait changé, et j’avais en plus une légère insensibilité de la peau sur le bras du même côté. Je pensais avoir un nerf coincé de ce côté-là, mais ma généraliste m’a vite orientée vers une neurologue, et fait faire des IRM.
Son stagiaire a parlé de sclérose en plaques à ce moment-là, mais elle a botté en touche. Le terme est alors entré dans ma tête et y est resté jusqu’au diagnostic officiel 7 mois plus tard. En effet, le temps de passer tous les examens, le tout en période de COVID, cela a pris beaucoup de temps, temps pendant lequel j’ai pu me préparer au diagnostic. N’étant sûre de rien et assez optimiste dans la vie, j’ai essayé de vivre normalement en me disant que tout rentrerait dans l’ordre.
Au début, on vous a parlé d'une SEP légère qui évoluait sans traitement majeur. Qu'avez-vous ressenti lorsque le diagnostic a évolué vers une forme plus agressive fin 2020 ?
Cela a été très difficile. C’est à ce moment-là que j’ai fait appel à une psychologue pour m’aider à faire face. Je ne pouvais plus travailler, je ne pouvais plus m’occuper de ma fille, je ne pouvais plus conduire. Mon conjoint faisait tout ce qu’il pouvait, et moi je passais mes journées à enchaîner les rendez-vous de rééducation, et à me reposer car j’étais écrasée par la fatigue. J’avais l’impression d’abandonner les gens, et d’échouer dans mon projet d’être plus forte que la maladie. J’ai dû apprendre à déléguer et à me faire passer en priorité. Heureusement, j’ai eu énormément de soutien dans cette épreuve.
Votre parcours thérapeutique a connu plusieurs étapes, avec un traitement de première ligne puis le passage à des immunosuppresseurs en avril 2021. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez vécu ces changements et les impacts sur votre quotidien ?
Mon premier traitement était sous forme d’injection à faire à la maison 3 fois par semaine. Il fallait le garder au frais, et se piquer soi-même, et les injections étaient à chaque fois extrêmement douloureuses. Cela devenait un combat avec moi-même 3 fois par semaine pour arriver à les faire. J’ai finalement été soulagée de changer de traitement.
Pourtant, le nouveau est plus lourd, et se fait à l’hôpital. Mais il n’est pas douloureux et n’a lieu qu’une fois par mois. J’ai finalement eu, grâce à lui, l’impression d’être moins malade. Aujourd’hui encore, je l’oublie parfois (jusqu’à ce que l’hôpital m’envoie le petit SMS de rappel du rendez-vous). Je n’ai aucun effet secondaire et il m’a permis d’être stabilisée, et de bien récupérer de cette poussée. Je suis passée d’un traitement contraignant, douloureux et inefficace à un traitement, certes plus lourd, mais avec beaucoup plus d’avantages.
Vous avez traversé trois ans de longue maladie agrémentés de diverses rééducations. Quels ont été les moments clés qui vous ont permis de reconstruire vos forces et retrouver une certaine stabilité ?
Ça a commencé par ma kiné de l’époque qui m’a fait acheter une canne et qui m’a obligée à venir à pied à chacune de mes séances. Elle m’a fait aller au-delà de mes limites. Ça a été difficile physiquement mais elle a été mon meilleur coach !
J’ai aussi découvert à quel point une séance d’orthophonie pouvait être épuisante : réapprendre à bien avaler, bien parler, ainsi que la rééducation cognitive m’ont permis de retrouver quasiment la totalité de mes capacités antérieures à la poussée.
Ensuite, il y a eu notre projet familial : nous avons quitté notre région et sommes partis commencer une nouvelle vie dans le sud. J’ai, en quelques sortes, pris un nouveau départ.
Entre votre vie de maman – avec une fille de 6 ans et un bébé de 6 mois – et votre métier d’assistante sociale, comment parvenez-vous à gérer votre quotidien en parallèle de votre suivi médical ?
Suite à mes 3 ans de longue maladie, j’ai repris en temps partiel thérapeutique. Je suis donc, encore pour le moment, à 60 % et je serai à 80 % à compter du mois de juin sur un temps partiel de droit grâce à la RQTH.
J’essaye pour le moment de caler mes rendez-vous médicaux sur le temps partiel. Cependant, je dois parfois prendre des congés, ou faire sur ma pause déjeuner. Il est très difficile de tout gérer mais je n’ai pas envie de m’empêcher de vivre comme je l’entends à cause de la maladie.
Je cumule beaucoup de fatigue, c’est vrai, et ce n’est vraiment pas facile tous les jours. Mais ma famille et ma vie privée passent avant le reste. Malheureusement, je ne gagne pas au loto quand j’y joue, pour qu’elle soit ma seule priorité ! Je dois donc travailler pour assumer mes choix, et je n’ai pas le droit à l’invalidité car je suis fonctionnaire, et que cela n’existe pas dans la fonction publique.
Reprendre le travail de manière progressive après une longue période de rééducation n'est pas chose aisée. Quelles ont été les stratégies ou les soutiens qui vous ont permis d'y parvenir ?
J’ai la chance d’être dans un milieu professionnel très bienveillant. Depuis le début de ma maladie, j’ai eu des collègues et des hiérarchies très à l’écoute et très empathiques. J’ai été très soutenue et accompagnée pendant l’arrêt maladie, et lors de ma mutation dans le sud. J’ai tout d’abord repris sur un 50 % sur 3 jours, puis 60 % sur 3 jours, le tout sur 12 mois. J’ai accès à du télétravail et je peux aussi poser des congés lorsque je suis convoquée à un rendez-vous médical, par exemple. J’ai toujours été transparente sur ma maladie et mes handicaps, et je pense que ça m’a aidée à être mieux comprise sur mon lieu de travail.
La gestion de la maladie implique souvent une réorganisation de sa vie personnelle et professionnelle. Quels ajustements avez-vous dû mettre en place pour concilier maternité, travail et traitement ?
Je me fais passer en priorité et ma famille aussi. Je ne fais plus d’heures supplémentaires juste parce qu’on me le demande. Je m’arrête si je sens que mon corps en a besoin. Je suis partie loin de mes proches pour avoir un cadre de vie plus sain et plus agréable, même s’ils me manquent énormément. J’essaie de m’entourer uniquement de personnes positives et bienveillantes.
J’ai choisi un traitement par voie sous-cutanée et plus par intraveineuse pour gagner du temps et avoir moins de douleur. Et maintenant je vais pouvoir en bénéficier à domicile donc j’aurais moins de trajet à prévoir pour l’hôpital.
Je continue de voir une kiné toutes les semaines et d’avoir une activité physique régulière car c’est pour moi un impératif pour rester en forme. J’essaye de demander de l’aide ou de déléguer quand je sens que j’en fais trop. Tout est dans l’écoute de soi, c’est important de ne pas dépasser ses propres limites.
Quelles leçons avez-vous tirées de votre parcours avec la SEP que vous souhaiteriez partager avec d'autres personnes confrontées à une situation similaire ?
Rien n’est figé. On peut voir la maladie s’améliorer, on peut la voir s’aggraver, elle peut même disparaître pour certains. L’essentiel, c’est de bien s’entourer et de ne surtout pas se comparer. Chaque SEP est unique, et le plus important est de prendre soin de sa santé, physique et mentale.
En tant qu'assistante sociale, vous œuvrez quotidiennement auprès de personnes en difficulté. De quelle manière votre propre expérience avec la SEP influence-t-elle votre approche professionnelle ?
J’ai pu perfectionner mes connaissances professionnelles en matière de maladie et de handicap, cela me permet d’avoir une approche différente des situations que j’accompagne à mon travail. En parallèle, j’essaye de faire profiter de mes compétences aux personnes avec la SEP, soit par des post Instagram, soit en privé quand je le peux. J’aurais aimé développer ce dernier point, mais je n’ai pour le moment pas assez de temps et ce n’est pas ma priorité. Mais j’essaye d’être toujours disponible et répondre aux gens dans la mesure du possible.
Après ces années de défis, vous êtes aujourd'hui stable. Quel message aimeriez-vous transmettre à ceux qui traversent actuellement des périodes difficiles liées à la SEP ?
Ne restez pas seuls. Il y a un très gros réseau de patients, sur les réseaux sociaux ou au sein d’associations. Entourez-vous de bons professionnels de santé. Il faut savoir changer de professionnel et dire non si on n’est pas à l’aise avec ce qui nous est proposé. Notre santé, nos corps, nos choix.
Il ne faut pas baisser les bras dans les périodes les plus difficiles. Et c’est aussi pour cela qu’il est important de bien s’entourer.
Être en lien avec d’autres patients, c’est aussi une façon de libérer sa parole sur la maladie, ce qui n’est pas toujours évident avec les proches.
Un dernier mot ?
Il est très difficile aujourd’hui de sensibiliser aux handicaps liés à la SEP. C’est une maladie qui touche un public relativement jeune, et dont la majeure partie des symptômes et handicaps sont invisibles. Beaucoup d’entre nous passons par une sorte de syndrome de l’imposteur, car nous sommes « debout ». Mais 80 % des handicaps sont invisibles. Il ne faut pas hésiter à faire valoir ses droits auprès de la CPAM et de la MDPH, c’est hyper important d’aller au-delà des représentations, même si la phase d’acceptation du handicap n’est pas toujours évidente. Et nous ne sommes pas toujours aidés non plus par les valides, et leurs regards lorsqu’on présente une carte de priorité, par exemple. Le chemin est encore long mais je ne perds pas espoir.
Il faut aussi garder espoir en la recherche médicale. Les 15 dernières années ont été riches en avancées sur la SEP, et j’espère que les 15 prochaines le seront tout autant et qu’on nous trouvera un remède définitif !
Un grand merci à Eva pour son témoignage !
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