Santé des femmes : pourquoi la recherche médicale reste encore incomplète ?
Publié le 21 juin 2025 • Par Claudia Lima
Longtemps reléguée au second plan, la santé des femmes reste aujourd’hui encore sous-estimée dans la recherche médicale. Pourtant, les maladies et l’efficacité des traitements diffèrent parfois sensiblement entre hommes et femmes. Symptômes ignorés, essais centrés sur les hommes, maladies invisibilisées : les inégalités persistent et leurs conséquences sont graves.
Quels domaines sont les plus touchés ? Pourquoi ces angles morts perdurent-ils ? Et surtout, comment y remédier ?
Cet article dresse un état des lieux documenté et propose des pistes pour faire évoluer la médecine vers plus de justice et d’efficacité.

Pourquoi la santé des femmes a-t-elle été exclue de la recherche médicale ?
Pendant des décennies, la recherche médicale s’est construite autour d’un modèle centré sur le corps masculin. Jusqu’aux années 1990, la plupart des essais cliniques en Europe et aux États-Unis étaient menés presque exclusivement sur des hommes, même pour des maladies touchant aussi, voire davantage, les femmes, comme les cancers ou les maladies cardiovasculaires.
Dès les années 1960, un biais majeur s’est ancré : les femmes en âge de procréer étaient systématiquement exclues des études, par crainte d’effets indésirables sur une éventuelle grossesse. Leur corps, perçu comme instable à cause du cycle menstruel, était jugé trop complexe à intégrer dans les protocoles, et donc trop coûteux à étudier.
Cette exclusion a eu des effets durables : traitements, dosages et diagnostics ont été élaborés à partir de données masculines. Résultat, les soins ont perdu en pertinence pour les femmes. Ce déséquilibre a également influencé la formation des professionnels de santé, qui restent encore aujourd’hui peu formés aux différences biologiques et cliniques entre les sexes.
Certaines pathologies en témoignent : dans les essais cliniques menés sur le VIH, l’hépatite ou les maladies cardiovasculaires, les femmes ne représentaient qu’environ un tiers des participants. Et malgré les appels à plus d’équité, leur taux de participation plafonne toujours autour de 33 % en 2019, un chiffre bien en deçà de leur part réelle dans la population concernée.
Les maladies cardiaques illustrent bien cette inégalité : chez les femmes, les symptômes d’infarctus, comme la fatigue, les douleurs diffuses ou l’essoufflement, sont souvent moins visibles et moins bien reconnus. Ce manque de sensibilisation entraîne des retards de diagnostic parfois critiques.
Face à ces injustices, des mouvements féministes et citoyens, comme le Women’s Health Movement (Mouvement pour la santé des femmes, en français) aux États-Unis, se sont mobilisés dès les années 1970. Leurs revendications ont contribué à faire évoluer la législation, notamment avec l’obligation d’inclure des femmes dans les études cliniques à partir des années 1990. Mais ces inégalités persistent.
Quelles différences biologiques sont oubliées dans la médecine ?
Les différences biologiques entre les sexes influencent directement la santé, mais restent largement négligées dans la recherche médicale. Chez les femmes, la production d’œstrogènes agit sur le système immunitaire, la densité osseuse et la perception de la douleur. Elles sont ainsi nettement plus exposées aux douleurs chroniques et aux maladies auto-immunes, qui concernent près de 80 % de patientes. De plus, les variations hormonales tout au long de la vie (puberté, grossesse, ménopause) modifient leur réponse aux maladies et aux traitements.
Certaines pathologies touchent spécifiquement ou majoritairement les femmes, mais souffrent d’un manque criant de reconnaissance. L’endométriose, par exemple, met en moyenne sept ans à être diagnostiquée, bien qu’elle provoque des douleurs sévères et puisse entraîner l’infertilité. C’est également le cas du syndrome prémenstruel, de la ménopause, de la fibromyalgie, de l’ostéoporose, des migraines, des cystites ou encore des maladies inflammatoires pelviennes. Trop souvent, ces troubles sont banalisés, voire attribués à des causes psychologiques, retardant leur prise en charge.
Quelles sont les conséquences concrètes du biais médical envers les femmes ?
Les angles morts dans la recherche médicale et la prise en charge des femmes ont des effets très concrets. Ces inégalités touchent autant la santé physique que mentale des patientes.
Des retards de diagnostic aux conséquences graves
Comme précisé plus haut, le manque de connaissance des spécificités féminines conduit à des erreurs ou retards de diagnostic, aussi bien pour les maladies dites féminines (endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques/SOPK) que pour des pathologies plus générales (maladies cardiovasculaires ou neurodéveloppementales). Chez les femmes, les signes d’une crise cardiaque sont souvent interprétés, à tort, comme des troubles psychologiques ou de l’anxiété. Résultat : une perte de chance réelle, avec un risque accru de complications. L’exemple de l’endométriose, déjà cité plus haut, illustre à nouveau cette réalité : il faut en moyenne sept ans pour qu’un diagnostic soit posé. Même constat pour les troubles du spectre autistique chez les filles, souvent sous-détectés car leurs manifestations diffèrent de celles observées chez les garçons.
L’errance médicale et ses répercussions psychologiques
Face à ces retards, de nombreuses femmes multiplient les consultations et les examens sans réponse claire. Ce parcours médical chaotique engendre de l’anxiété, un sentiment d’incompréhension et une perte de confiance dans le système de santé. L’impact est également économique : rendez-vous à répétition, traitements inefficaces, arrêts de travail fréquents, etc. Ces coûts pèsent lourd sur les patientes comme sur leurs proches.
Une formation médicale encore inadaptée
Ces inégalités sont aggravées par une formation encore largement indifférenciée selon le sexe. De nombreux soignants reconnaissent n’avoir reçu aucune sensibilisation spécifique aux réalités biologiques féminines durant leurs études. Le manque de spécialistes dans certaines disciplines clés, comme la gynécologie, la santé mentale ou les maladies chroniques, renforce encore les inégalités d’accès aux soins, notamment dans les zones rurales ou défavorisées.
Des impacts sociaux durables
Ces lacunes ne se limitent pas au champ médical. Elles ont des répercussions sur la vie sociale, professionnelle et familiale des femmes. Lorsque leurs douleurs sont banalisées, ignorées ou ramenées à des causes émotionnelles, cela décuple leur charge mentale et les pousse parfois à renoncer aux soins. Ce sentiment d’invisibilisation entretient un climat d’injustice et isole encore davantage celles qui souffrent de pathologies chroniques non reconnues.
Quelles solutions pour une médecine plus juste envers les femmes ?
Face aux inégalités persistantes dans la santé des femmes, des initiatives émergent pour rendre la recherche, la prévention et les soins plus équitables. Des politiques publiques aux innovations technologiques, en passant par les mobilisations citoyennes, plusieurs leviers sont à l’œuvre pour sortir les femmes de l’angle mort médical.
1. Des politiques publiques qui commencent à évoluer
En France, les pouvoirs publics commencent à reconnaître l’urgence d’agir. Le ministère de la Santé a récemment inscrit la ménopause dans ses priorités de recherche, encourageant la création de consultations spécifiques pour mieux accompagner les femmes à chaque étape de leur vie. Plusieurs rapports officiels recommandent également de renforcer la formation médicale sur les questions de genre, longtemps négligées dans les cursus.
À l’international, certains pays vont plus loin. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, il est désormais obligatoire d’analyser les données cliniques par sexe dans les essais médicaux, afin de mieux comprendre les différences de réponse aux traitements. Cependant, ces mesures restent encore inégalement appliquées sur le terrain.
2. Des collectifs et associations engagés
Des organisations comme Femmes de Santé, FemTech France ou encore des collectifs de patientes jouent un rôle clé dans la transformation du paysage médical. Leur action vise à briser les tabous, sensibiliser l’opinion publique et soutenir la recherche sur des maladies longtemps ignorées comme l’endométriose, la fibromyalgie ou les troubles hormonaux. Elles participent aussi à mieux informer les femmes sur leurs risques spécifiques et à promouvoir une prévention personnalisée, de la puberté à la ménopause.
3. La FemTech : promesses et vigilance
Le secteur de la FemTech (technologies dédiées à la santé des femmes) connaît une forte croissance : applications de suivi menstruel, de fertilité ou encore de gestion des symptômes liés à la ménopause se multiplient. Ces outils offrent des solutions de suivi personnalisé et permettent aux femmes de mieux comprendre leur corps. Néanmoins, ils posent aussi des questions cruciales de protection des données personnelles, en l’absence de cadre réglementaire clair.
4. Une recherche plus participative
Des initiatives comme la plateforme Seintinelles, en France, permettent aux femmes de participer directement à la recherche médicale, notamment en oncologie. Cette recherche participative réduit la distance entre scientifiques et patientes, en intégrant les besoins réels et les vécus concrets dans les études cliniques, une approche qui valorise les savoirs expérientiels et la co-construction des connaissances.
5. Vers de nouveaux standards scientifiques
Des institutions comme le World Economic Forum (Forum économique mondial, en français) et McKinsey Health Institute (Institut de santé McKinsey, en français) plaident pour une refonte en profondeur des pratiques scientifiques. Leurs recommandations incluent :
- L’analyse systématique des disparités entre les sexes dans les résultats,
- La distinction systématique des données entre femmes et hommes dans les études (sex-disaggregated data, en anglais),
- Une représentation équilibrée dans les essais cliniques,
- Un meilleur financement de la recherche féminine,
- Une parité dans les postes de leadership scientifique.
À retenir
L’exclusion historique des femmes de la recherche médicale n’est pas une simple négligence : c’est un biais structurel aux conséquences graves. Retards de diagnostic, traitements inadaptés, pathologies ignorées... ces angles morts reflètent une médecine qui, trop longtemps, a traité le corps masculin comme la norme.
Mais les choses évoluent. Politiques publiques, mobilisations citoyennes, innovations technologiques et recherche participative ouvrent la voie à une approche plus inclusive. Encore faut-il que ces efforts se traduisent par des engagements concrets, durables et systématisés : former autrement, financer équitablement, et intégrer pleinement les femmes à toutes les étapes du processus scientifique.
Une santé vraiment égalitaire ne peut se construire sans elles !
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Sources :
Les femmes dans l’angle mort, quechoisir.org
Comment les inégalités de genre impactent-elles la santé des femmes, lecese.fr
Les femmes laissées pour compte par la médecine, quechoisir.org
L’avenir des soins de santé pour les femmes : les obstacles actuels et leur évolution, dialogue.co/fr
Sexisme dans la science moderne, wikipedia.org
Blueprint to close the women’s health gap: How to improve lives and economies for all, mckinsey.com
Mortalité maternelle : une femme meurt tous les quatre jours en France, lemonde.fr
Pourquoi les femmes et les personnes avec un cycle sont-elles sous-représentées dans la recherche médicale, helloclue.com
Santé des femmes : pour en finir avec les diagnostics tardifs, place à l’intelligence collective », bigmedia.bpifrance.fr
Retard de prise en charge dans le diagnostic et le traitement des maladies cardio-vasculaires chez les femmes, malheureusement toujours d’actualité, agirpourlecoeurdesfemmes.com
Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique, haut-conseil-egalite.gouv.fr
Le corps des femmes, angle mort de la médecine, la-croix.com
La santé des femmes en France, drees.solidarites-sante.gouv.fr
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