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"Patience. Rien ne dure” : Frédéric, artiste et poète, raconte sa renaissance avec la schizophrénie

Publié le 13 août 2025 • Par Candice Salomé

Frédéric a vécu l’invisible, traversé les voix, les crises, l’errance, pour construire peu à peu un chemin vers la paix intérieure. Diagnostiqué schizophrène au début des années 2000, il aurait pu sombrer. Mais c’est tout l’inverse qui s’est produit. Porté par l’art, la philosophie, le bouddhisme, mais aussi par l’amour et l’espoir, Frédéric s’est reconstruit pas à pas, jusqu’à ouvrir sa propre boutique artisanale dans le Cantal et publier un manuscrit poétique. 

À travers son témoignage, il nous offre un regard lucide et lumineux sur la maladie psychique, le rétablissement, et la puissance des ressources intérieures. 

Bonjour Frédéric, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions. 

Pouvez-vous nous parler un peu de vous, de qui vous êtes aujourd’hui, dans votre quotidien personnel, professionnel ou créatif ? 

Je suis marié depuis un an. Je vis désormais à la campagne, dans le Cantal, après une longue période passée à Paris. J’habite dans un charmant bourg médiéval : Maurs-la-Jolie. Professionnellement, j’ai ouvert une boutique de cadeaux personnalisés gravés au laser. J’y travaille le cuir, le bois, le métal, le verre, ou encore la feuille d’arbre. Ce lieu s’appelle Bela TintaSur le plan créatif, je ne m’arrête jamais : j’écris, je dessine, j’enregistre… L’écriture est mon médium principal, mais je crois aussi que l’émotion peut passer par le dessin, qu’il soit à la craie, au pastel gras ou en digital. Je suis très inspiré par Nietzsche : je crois profondément que les arts, la poésie et la culture nourrissent l’âme et permettent de traverser les douleurs du monde. 

À quel moment les premiers signes de votre maladie sont-ils apparus, et comment les avez-vous vécus à l’époque ? 

Les premiers signes sont apparus entre 2001 et 2002. Je revenais d’une année sabbatique après le bac, passée entre Londres et Cardiff, à faire la fête. Ces excès ont sans doute ouvert la porte à la maladieÀ mon retour à Paris, j’ai perdu peu à peu tout lien social. Puis les voix ont commencé : d’abord une seule, puis des dizaines, des centaines. Certaines étaient hostiles, d’autres protectrices. J’ai vécu une année entière sans diagnostic, en errance mentale et sociale, à la recherche d’un peu de silence dans ma tête. 

Comment s’est passé le diagnostic ? Avez-vous été accompagné dans cette étape ? 

C’est la patronne de ma mère qui lui a conseillé de me faire consulter un psychiatre. Au début, les médecins ont pensé à une crise mélancolique, puis le diagnostic de schizophrénie dysthymique a été posé. J’ai été suivi à l’hôpital de Bécheville (Les Mureaux), où l’on m’a demandé : "Entendez-vous des voix ?" J’ai répondu : "Oui, comme tout le monde…" C’est là que tout a vraiment commencé. J’ai été mis sous curatelle financière et inscrit à la MDPH. Plusieurs examens ont ensuite permis d’adapter le traitement. 

Vous avez connu plusieurs épisodes de crise et des hospitalisations : comment avez-vous traversé ces périodes difficiles ? 

Avec espoir et persévérance. Mon mantra était : “Patience, rien ne dure.” Même si les symptômes — voix, hébéphrénie, paranoïa, hallucinations, fatigue nerveuse, vol de la pensée — étaient présents, j’ai toujours suivi mes traitements après une crise psychiqueCe que je redoutais le plus, c’était de rester bloqué dans une bouffée délirante aiguë. Mais jour après jour, le silence revenait. Je comparais chaque journée avec la précédente, pour mesurer les signes d’un mieux. 

Qu’est-ce qui vous a aidé à aller vers la stabilisation, à retrouver un équilibre au fil des années ? 

La spiritualité. Je me suis tourné vers le bouddhisme du Grand Véhicule. L’idée que nous avons tous une part inviolable de sagesse et de bonté m’aide à avancer. Cela m’a permis de reconstruire de nouvelles habitudes, de transformer mon rapport au monde, à mes émotions, à mes actes. Mais, que l’on soit bouddhiste ou non, le chemin est long et parfois difficile. Chacun, à son niveau, souffre — et l’important, je crois, est de se rendre utile, à soi-même et au plus grand nombre possible, que ce soit par des pensées, des gestes ou des paroles. Et surtout, j’ai eu la chance de croiser des gens bienveillants, de véritables passerelles humaines, qui m’ont guidé dans l’obscurité. 

Quel rôle ont joué vos proches, ou d’autres soutiens, dans votre parcours de rétablissement ? 

Ma famille a été très présente en 2001, et très courageuse. Même si les liens se sont un peu distendus aujourd’hui, je leur dois beaucoup. La schizophrénie vous retourne de l’intérieur. Elle oblige à reconstruire le lien autrementMon mari, rencontré il y a 15 ans, m’a énormément soutenu, calmé, accompagné. Des ami·e·s, des inconnus aussi, par des mots, des gestes, parfois furtifs… tout cela reste. 

À un moment donné, vous avez repris vos études et vous êtes orienté vers l’écriture : comment cela a-t-il transformé votre rapport à vous-même et à la maladie ? 

L’écriture m’a permis de me penser autrement. De dépasser les symptômes, de structurer ce qui était éclaté. La langue devient un outil de paix intérieure. Écrire, c’est se dévoiler, certes, mais c’est aussi créer un dialogue, un partage sur des douleurs indicibles. J’ai repris des études à 30 ans : j’ai obtenu une licence de lettres et un master de philosophie

Vous avez récemment ouvert une boutique artisanale à Maurs : qu’est-ce que ce projet représente pour vous ? 

Ce projet est à la fois professionnel, artistique et thérapeutique. Avec Bela Tinta, je peux créer, graver, concevoir à mon rythme. Cela m’a permis de m’ancrer dans un quotidien stable, de construire une activité qui a du sens. La boutique a un an cet été, et c’est un beau défi que je veux faire durer. 

Vous êtes également engagé dans une démarche spirituelle : en quoi le bouddhisme vous aide-t-il à vivre avec la schizophrénie ? 

Le bouddhisme m’apprend à prendre la responsabilité de mes actes — par le corps, la parole, l’esprit. Il m’aide à orienter mon esprit vers la bienveillance, à réfléchir sur les causes de ma souffrance et sur les moyens d’y remédier. C’est une méthode exigeante, mais salvatrice. Elle m’a appris à croire que mon esprit, même fragilisé, peut être guidé, éclairé, apaisé

Vous avez écrit un manuscrit à paraître prochainement. Qu’avez-vous souhaité transmettre à travers ce récit ? 

Mon livre, Si la mer se meurt, paraîtra en octobre 2025, aux éditions les Cahiers de l’Égaré. Je souhaite qu’il soit utile — utile à celles et ceux qui vivent des souffrances psychiques. Je veux dire que oui, on peut avoir une vie riche, même avec un diagnostic lourd. J’ai voulu écrire un texte poétique, car la poésie touche l’intime, l’universel, ce que l’on ne dit pas d’habitude. C’est, je crois, une forme littéraire qui ouvre les cœurs. 

Enfin, que conseilleriez-vous à une personne qui aurait du mal à stabiliser sa pathologie – la schizophrénie ? 

De ne jamais perdre espoir. D’attendre que la brise se lève, même dans les enfers mentaux. De bien s’entourer. De rejeter les passions négatives (colère, jalousie, orgueil…). Et surtout : se rappeler que rien ne dure — pas même la souffrance. Il faut persévérer, chercher sans relâche un mieux, et croire qu’il est toujours possible d’aller vers une vie moins douloureuseC’est ainsi que l’on fait germer des graines mentales positives, qui donneront leurs fruits en temps voulu. 

Un dernier mot ? 

Patience. Rien ne dure. Et surtout : croire que la maladie n’est pas une fatalité. Avec un bon traitement, un entourage solide, et une volonté réelle, tout est imaginable. 

Un grand merci à Frédéric pour son témoignage !

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avatar Candice Salomé

Auteur : Candice Salomé, Rédactrice Santé

Créatrice de contenus chez Carenity, Candice est spécialisée dans la rédaction d’articles santé. Elle a une appétence particulière pour les domaines de la psychologie, du bien-être et du sport.

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