« On ne choisit pas toujours ce qui nous arrive, mais on peut choisir comment le vivre », Emmanuel partage son parcours avec la SPA
Publié le 10 déc. 2025 • Par Candice Salomé
Vivre avec une maladie invisible comme la spondylarthrite ankylosante transforme chaque instant du quotidien en défi. Emmanuel, auteur et passionné de course à pied, nous ouvre les portes de son univers où douleur rime avec résilience et où chaque foulée devient un symbole de liberté. De l’errance médicale au soulagement du diagnostic, de la perte d’autonomie à la reconquête de sa vie grâce à la sophrologie et au sport, son parcours est une leçon de courage et d’espoir.
Dans ce témoignage, Emmanuel partage son quotidien, ses stratégies pour mieux vivre avec la douleur et son message aux personnes touchées par une maladie invisible : il est possible de transformer la souffrance en force et la résilience en projet de vie.
Bonjour Emmanuel, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous commencer par vous présenter ?
Je m’appelle Emmanuel. Je vis aujourd’hui avec une spondylarthrite sévère, une maladie qui m’a conduit à être en invalidité, mais qui ne m’a jamais empêché de vivre intensément. Au contraire, elle m’a appris à voir la vie autrement, à aller à l’essentiel et à trouver de la force là où d’autres verraient des limites. Je vis avec Lise, Garance, les deux grands de Lise à quelques pâtés de maison (spondy et Crohn) et trois chats.
Je suis auteur, passionné par l’écriture et par le partage d’expériences vraies. J’ai publié deux livres : "La vie à grandes enjambées", qui retrace mon parcours de résilience, et "30 jours pour toi", un guide pour apprendre à mieux se connaître et à avancer malgré les tempêtes.
Le sport, et en particulier l’athlétisme et la course à pied, tient une place essentielle dans ma vie. C’est ma manière à moi de continuer à me battre, de me dépasser, de prouver que, même avec la douleur, le mouvement reste possible.
J’aime les défis, la nature, les moments simples avec ceux que j’aime, et tout ce qui permet de se sentir vivant. À travers mes livres, mes projets et mes échanges, j’essaie de transmettre un message : on ne choisit pas toujours ce qui nous arrive, mais on peut choisir comment le vivre.
Pouvez-vous nous raconter les premiers signes de la maladie et ce que vous avez ressenti face à ces douleurs inexpliquées ?
En fait, j’ai toujours fait du sport et été un peu fou quand j’étais jeune, et ça m’a sauvé… et pas sauvé en même temps. Les premières douleurs ont vraiment été mises sur le compte du sport quand j’étais enfant ou adolescent. Et jusqu’à ce que je ne puisse presque plus marcher ni me tenir debout, ce fut comme ça. Même face au diagnostic, mon cerveau était tellement formaté que ça ne pouvait pas être ça.
Les douleurs, je les ai toujours connues, en vrai. Donc pour les premiers signes, j’étais trop jeune pour m’en rappeler vraiment.
Comment avez-vous vécu l’errance médicale avant que le diagnostic de spondylarthrite ankylosante ne soit posé ?
Quand j’y repense, en vrai, c’est horrible.
Si seulement un médecin avait émis un seul doute, à n’importe quel moment de ma vie… Aujourd’hui, je n’en serais pas là où je suis. Parce que je suis gravement handicapé, à vie, et ça ne changera jamais. Les soudures ne se dessoudent pas. Les déformations ne s’enlèvent pas non plus. J’ai huit côtes déformées ou soudées, le bassin soudé au sacrum, et quatre vertèbres devenues carrées. Vous savez quelle forme a une vertèbre normalement ? Eh bien, moi, elles sont carrées et soudées. Et je ne vous parle pas du reste.
Donc, à cause de cette errance, j’en suis là aujourd’hui ! J’ai franchement les boules ! Et mon combat, c’est que personne ne se retrouve dans ma situation encore aujourd’hui, parce que ça n’arrive plus normalement !
Qu’avez-vous ressenti le jour où vous avez enfin eu un nom pour votre maladie ?
Un mélange étrange de soulagement et de vertige. Soulagement, parce qu’enfin, on mettait un mot sur mes douleurs, sur ce corps qui me trahissait depuis des années. Vertige, parce que je comprenais aussi que ce mot allait m’accompagner toute ma vie. C’était à la fois une fin et un début : la fin de l’incompréhension, le début du combat.
Quelles ont été les conséquences les plus difficiles à accepter dans votre vie quotidienne ?
La perte d’autonomie.
Devoir apprendre à dire : « Je ne peux pas aujourd’hui », alors que j’avais toujours été actif, hyperactif (ça en arrangera certains, mdr).
La perte de mon job, de ma carrière… Le fait d’être en invalidité a été un choc au départ, mais aussi un passage obligé pour me recentrer. Ce qui m’a le plus marqué, c’est la fatigue constante, cette usure invisible qui ne se voit pas mais qui pèse sur tout : le corps, le moral, les relations.
Comment avez-vous fait face aux limites imposées par votre corps, à la douleur et à la fatigue constante ?
J’ai appris à écouter plutôt qu’à forcer.
À comprendre mon corps au lieu de le subir.
La douleur est devenue un langage, la fatigue un signal, et non plus un ennemi.
J’ai construit ma vie autour de mes capacités, et surtout pas de mes limites.
La respiration, la sophrologie, le mouvement, et parfois juste le silence, m’ont permis de retrouver un équilibre entre accepter et avancer.
Selon vous, quels sont les malentendus ou idées reçues sur la spondylarthrite ankylosante que vous aimeriez corriger ?
Le plus grand malentendu, c’est que les gens n’imaginent pas qu’on puisse avoir mal tous les jours, à cette intensité-là. Quand je dis que j’ai mal, ce n’est pas un petit tiraillement dans le dos ou une gêne passagère. C’est comme si j’avais dix entorses en même temps, dans dix articulations différentes — et que ça durait tous les jours, toutes les nuits, sans répit. Pour beaucoup, c’est impensable. Leur cerveau n’arrive pas à concevoir qu’une telle douleur puisse être constante, qu’on puisse la supporter, qu’on puisse vivre avec. Alors, par réflexe, certains minimisent : « Tu exagères un peu, non ? » ou « Mais tu as l’air en forme ! »
C’est ça, le problème : la spondylarthrite ne se voit pas. Pas de plâtre, pas de cicatrice, pas de signe extérieur qui explique l’épuisement ou la lenteur. Pourtant, à l’intérieur, c’est un feu permanent. Chaque geste est mesuré, chaque respiration parfois douloureuse, chaque nuit un combat contre les raideurs.
Ce que j’aimerais faire comprendre, c’est qu’on ne s’habitue pas à cette douleur. On apprend à la gérer, à la contourner, à vivre malgré elle. On apprend à sourire alors qu’on souffre, à continuer à avancer quand chaque mouvement coûte. La maladie nous apprend à nous adapter en permanence, à faire semblant parfois, juste pour exister « normalement » dans un monde qui ne comprend pas l’invisible.
Alors non, ce n’est pas « juste un mal de dos ». C’est une bataille quotidienne, silencieuse, épuisante, et pourtant pleine de courage. Parce que malgré tout, on se relève. Parce qu’on a appris à vivre avec l’impossible.
Comment la sophrologie, la respiration et la course à pied vous ont aidé à mieux vivre avec la maladie ?
La sophrologie m’a appris à créer de l’espace entre la douleur et moi, à ne plus me définir par elle, et ça, c’est la meilleure des choses. La respiration est devenue mon challenge quotidien : c’est ce qui me ramène au calme quand tout se tend. Et la course à pied, c’est mon cri de liberté. C’est le moment où, malgré la maladie, je redeviens pleinement vivant. Chaque foulée est une victoire sur tout ce que je ne peux plus faire. C’est incroyable !
Alors, c’est sûr, moi, je n’irai pas au championnat de France, parce que je n’avance pas vite ! Et alors ! J’avance, et c’est le principal !
La course à pied est devenue un symbole de liberté pour vous. Pouvez-vous expliquer ce que chaque kilomètre représente ?
Chaque kilomètre est une victoire intime. Ce n’est pas seulement une distance parcourue, c’est un message que j’envoie à mon corps : « Tu vois, on y arrive encore. » Quand on vit avec une maladie comme la spondylarthrite, tout devient une lutte : enfiler ses chaussures, sortir, respirer malgré la douleur dans la cage thoracique, avancer quand chaque foulée tire un peu trop fort.
Alors oui, chaque kilomètre est un symbole. Celui de la résilience, du mouvement malgré tout. C’est une manière de reprendre le contrôle sur un corps qui m’a souvent échappé. Quand je cours, je ne pense plus à ce que je ne peux pas faire. Je ne pense plus aux côtes soudées, aux articulations raides, à la fatigue chronique. Je pense juste à ce souffle qui m’anime.
La course à pied m’a appris à transformer la douleur en énergie. C’est un moment de liberté absolue, où je redeviens moi-même, sans étiquette, sans diagnostic, sans limite. Chaque kilomètre est une conversation entre la maladie et ma volonté, entre la fragilité et la force. Et quand j’arrive au bout d’une séance, ce n’est pas l’épuisement que je ressens, mais une immense gratitude : celle d’avoir encore la chance d’avancer.
Quelles stratégies ou habitudes du quotidien vous permettent de reprendre le contrôle sur votre vie malgré la maladie ?
Je structure mes journées autour de ce que mon corps m’autorise, et non l’inverse. J’avance à mon rythme, je m’accorde du repos sans culpabilité, et je garde toujours un objectif en tête, même petit. Je pratique la respiration consciente, j’écris beaucoup, je bouge dès que possible. Et surtout, je choisis d’être acteur de ma vie, même quand elle ne ressemble pas à ce que j’avais imaginé.
Après, ce qui rythme le plus la vie, c’est la vie elle-même : le rythme scolaire, en vrai. Mais c’est ça, la vraie chose à dire aux gens : s’ils ne deviennent pas ACTEUR, ils n’y arriveront pas.
Votre livre “La vie à grandes enjambées” raconte votre parcours de résilience. Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce témoignage ?
En vrai de vrai, la première chose qui m’a motivé, c’était… rien. Je n’ai pas écrit pour faire un livre, j’ai écrit pour moi, comme un journal intime, sous le conseil de ma psy. Jamais je n’aurais pensé écrire autant, et surtout que ce soit lu par d’autres. Ensuite, le besoin de mettre du sens sur tout ce que j’avais vécu. Et surtout, l’envie de transmettre. J’aurais aimé, au début de ma maladie, lire le témoignage de quelqu’un qui me dise : « Tu peux t’en sortir autrement. » Alors j’ai voulu être cette voix-là, honnête, sans fard, mais pleine d’espoir.
Quels messages ou émotions souhaitez-vous transmettre à vos lecteurs à travers ce récit ?
Avant tout, j’aimerais que mes lecteurs ressentent que l’espoir existe, même quand tout semble perdu. Que, malgré la douleur, la fatigue, les pertes, il y a toujours un chemin, parfois différent, mais un chemin quand même. Mon livre n’est pas une histoire de victoire héroïque ou de guérison miraculeuse. C’est une histoire d’humain, de vie avec ses hauts, ses bas, ses moments d’abandon et ses élans de courage. J’y raconte ce qu’on ne voit pas : les nuits blanches, la solitude, la peur, mais aussi les petites victoires, se lever un matin sans pleurer de douleur, réussir à courir quelques kilomètres, oser à nouveau rêver.
Ce que je veux transmettre, c’est l’idée que la résilience n’est pas une performance. Ce n’est pas une façade forte qu’on affiche au monde, c’est un choix qu’on fait, souvent dans le silence, de ne pas renoncer. À travers mes mots, j’aimerais que les gens se sentent compris, qu’ils se reconnaissent, qu’ils se disent : « Moi aussi, je ressens ça. » Je veux leur dire qu’ils ne sont pas seuls. Que même quand on vit avec la douleur, il reste de la lumière, du sens et cette capacité à aimer la vie autrement.
Et puis, au fond, j’aimerais que ce livre laisse une trace simple : celle d’un homme qui, malgré les coups du sort, a choisi de continuer à avancer, pas pour prouver quelque chose, mais parce que c’est en avançant qu’on retrouve la paix.
En regardant votre parcours aujourd’hui, quels conseils ou mots d’encouragement pourriez-vous donner à ceux qui vivent avec une maladie invisible ?
D’abord, je leur dirais : vous avez le droit d’être fatigué, d’avoir mal, de douter, mais vous n’avez pas à avoir honte. Vivre avec une maladie invisible, c’est se battre contre quelque chose que les autres ne voient pas, et c’est justement ce qui rend ce combat si difficile. Les jugements, les incompréhensions, les phrases du genre « Mais tu n’as pas l’air malade » finissent par peser presque autant que la douleur elle-même.
Je leur dirais aussi qu’il ne faut pas chercher à être « comme avant ». Ce temps-là appartient au passé, et c’est ok. Le vrai courage, ce n’est pas de faire comme si de rien n’était, c’est de réinventer sa vie avec ce nouveau corps, ce nouveau rythme, cette nouvelle version de soi. Il y a un moment où il faut cesser de se battre contre la maladie pour commencer à vivre avec. C’est un apprentissage long, mais c’est là que commence la paix intérieure.
Ne laissez personne définir vos limites à votre place. Certaines journées seront lourdes, d’autres plus légères. Acceptez les deux. Et surtout, gardez un projet, un rêve, un objectif, même minuscule. Ce sont ces petites choses qui donnent du sens aux jours difficiles.
Je crois profondément que la maladie ne détruit pas tout. Elle révèle. Elle met en lumière ce qu’il y a de plus fort, de plus vrai en nous. Alors oui, le chemin est rude, mais il peut aussi être beau. Vous êtes bien plus forts que vous ne le pensez, même si, parfois, vous l’oubliez.
Un dernier mot ?
Si je devais laisser un dernier mot, ce serait celui-ci : n’abandonnez jamais l’idée que la vie peut encore être belle, même au milieu du chaos. La maladie m’a pris beaucoup de choses : ma carrière, une partie de ma mobilité, parfois mes rêves d’avant. Mais elle m’a aussi appris à regarder le monde autrement, à savourer les moments simples, à aimer la lenteur, à redonner de la valeur à chaque respiration.
Aujourd’hui, je ne cherche plus la perfection ni la performance. Je cherche juste à vivre vrai : à être présent, à ressentir, à transmettre ce que j’ai appris, qu’il est possible de transformer la douleur en sens, le découragement en courage, et la souffrance en partage.
La vie, même cabossée, même douloureuse, reste une aventure. Et si mes mots, mes pas ou mes livres peuvent aider ne serait-ce qu’une seule personne à relever la tête, alors tout ce chemin, même le plus difficile, en valait la peine.
Un grand merci à Emmanuel pour son témoignage !
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