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Le bouleversement identitaire : construire une vie qui inclut la maladie, sans s’y réduire

Publié le 5 mai 2025 • Par Somya Pokharna

Que se passe-t-il lorsqu’un seul mot – un diagnostic – vient bouleverser tout ce que vous pensiez être ?
Vous avez enfin un nom à mettre sur vos symptômes. Mais ce nom peut entraîner une véritable crise identitaire, vous obligeant à réévaluer vos objectifs de vie, vos habitudes, votre quotidien. Il peut provoquer du chagrin, de la stigmatisation, de la clarté… voire un sentiment d’empowerment, tout cela en même temps.

Mais l’identité n’est pas figée : elle évolue. Comprendre comment une maladie chronique interagit avec l’image que vous avez de vous-même est une étape essentielle vers la guérison – non seulement physique, mais aussi émotionnelle et mentale.

Alors, quel est le lien complexe entre diagnostic et identité ? Quelles sont les étapes psychologiques que l’on traverse ? Et comment avancer avec un sentiment de cohérence et de pouvoir sur sa vie ?

Explorons tout cela ensemble dans cet article, car vous êtes – et vous resterez toujours – bien plus qu’un diagnostic.

Le bouleversement identitaire : construire une vie qui inclut la maladie, sans s’y réduire

Comment un diagnostic peut-il redéfinir votre identité ?

Notre identité se construit à partir des rôles que nous jouons, des histoires que nous nous racontons et des espoirs que nous nourrissons pour l’avenir. Un diagnostic de maladie chronique ou de trouble de la santé mentale peut remettre en question tout cela en même temps.

Des sociologues comme Kathy Charmaz et des psychologues comme Philip Yanos ont longuement étudié ce processus. Ils parlent de la formation d’une identité de malade, ou d’une redéfinition de soi en lien avec une condition de santé. Pour certaines personnes, le diagnostic devient envahissant : c’est ce que l’on appelle l’engloutissement, lorsque la maladie éclipse tous les autres aspects de leur identité.

Le quotidien change : vous dépendez peut-être désormais de médicaments, d’aides à la mobilité ou de séances de thérapie. Votre rôle au travail peut évoluer, vos relations peuvent être mises à l’épreuve et vos objectifs doivent peut-être être réévalués. Ces changements peuvent entraîner un sentiment de rupture entre le “vous d’avant” et le “vous d’après”.

Mais voici une vérité essentielle : l’identité n’est pas figée. C’est une partie vivante et évolutive de vous-même. Et un diagnostic, même s’il bouleverse votre vie, n’efface pas qui vous êtes. Il vous invite à intégrer quelque chose de nouveau à votre histoire.

Quelles émotions sont normales après un diagnostic ?

Le tourbillon émotionnel qui suit un diagnostic peut ressembler à des montagnes russes. Vous pouvez passer par le déni, la colère, la tristesse, voire le soulagement – parfois en l’espace de quelques jours. Ces réactions sont naturelles et rappellent les étapes classiques du deuil.

Vous pouvez faire le deuil de cette version de vous-même qui se sentait sans limites, physiquement ou émotionnellement. Vous pouvez craindre d’être perçu différemment ou ressentir de la honte à cause des stigmates, en particulier pour les troubles psychiques, souvent associés à des stéréotypes culturels néfastes. Et pourtant, vous pouvez aussi ressentir un certain soulagement : enfin une explication à ce que vous vivez.

Cette complexité émotionnelle est normale. Accepter un diagnostic ne se fait pas en un jour ; c’est un processus en plusieurs étapes. Reconnaître et valider vos émotions, quelles qu’elles soient, est une première étape essentielle vers l’intégration psychique et la guérison.

Comment reconstruire un sentiment de soi, et même évoluer, après un diagnostic ?

Reprendre possession de son identité après un diagnostic ne signifie pas revenir à ce que vous étiez avant. Cela signifie reconstruire à partir de ce que vous êtes aujourd’hui. Ce processus est profondément personnel et souvent transformateur. En traversant les émotions difficiles et en accueillant de nouvelles perspectives, beaucoup trouvent un nouveau sens, une plus grande clarté, et une force renouvelée.

Voici quelques pistes pour commencer ce cheminement :

Distinguez votre condition de votre identité

Plutôt que de vous définir uniquement par votre maladie, utilisez un langage qui introduit une distance. Dire “je vis avec une dépression” plutôt que “je suis dépressif” permet de rappeler que cette condition fait partie de votre vie, mais ne la définit pas entièrement.

Explorez qui vous êtes au-delà du diagnostic

Pensez à vos valeurs fondamentales, vos passions, vos traits de caractère durables. Êtes-vous toujours créatif, curieux, empathique ? Se reconnecter à ces éléments constants peut vous aider à vous sentir ancré et entier, même en pleine transformation.

Créez un nouveau récit personnel

Écrire ou parler de votre expérience vous aide à redéfinir l’histoire que vous vous racontez. La thérapie narrative ou le journal intime peuvent faciliter cette reconstruction, en vous faisant passer de “je suis brisé” à “j’ai survécu, je me suis adapté, j’ai grandi”.

Laissez votre expérience façonner votre but de vie

Beaucoup découvrent que la maladie donne un nouveau sens à leur existence. Vous pourriez devenir porte-parole, mentor, artiste, patient-partenaire ou simplement un ami plus attentif. Votre condition vous met à l’épreuve, mais elle peut aussi révéler votre résilience et votre lucidité.

Redéfinissez la réussite selon vos propres critères

Vivre pleinement peut prendre une forme différente, sans pour autant être moins valable. Le succès peut signifier gérer son énergie intelligemment, s’accorder du repos, ou mettre la joie avant la productivité.

Avec le temps, vous pourriez découvrir que votre diagnostic devient une composante d’une version plus forte et authentique de vous-même. Le chemin ne sera pas toujours facile, mais reconstruire votre identité peut mener à une croissance personnelle, une acceptation de soi plus profonde, et même un nouveau cap.

Pourquoi le lien avec les autres est essentiel pour se reconstruire ?

La maladie peut isoler. Mais vous n’êtes pas seul(e). L’un des pas les plus puissants dans la redéfinition de soi est de se connecter à d’autres personnes qui comprennent ce que vous traversez.

Les groupes de soutien, en ligne ou en présentiel, ne se contentent pas d’offrir des conseils pratiques. Ils apportent une validation émotionnelle et permettent de partager son vécu sans jugement. Voir d’autres personnes mener une vie pleine de sens malgré le même diagnostic peut redonner espoir et élargir le champ des possibles.

La communauté vous rappelle que votre histoire ne s’arrête pas au diagnostic. D’une certaine manière, elle ne fait que commencer.

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Prenez soin de vous !

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Sources:
Buck, K. D., Roe, D., Yanos, P., Buck, B., Fogley, R. L., Grant, M., … Lysaker, P. H. (2013). Challenges to assisting with the recovery of personal identity and wellness for persons with serious mental illness: Considerations for mental health professionals. Psychosis, 5(2), 134–143.
Charmaz, K. (1995). The body, identity, and self: Adapting to impairment. Sociological quarterly36(4), 657-680.
Charmaz, K. (2002). The self as habit: The reconstruction of self in chronic illness. OTJR: Occupation, Participation and Health22(1_suppl), 31S-41S.
Krouse, L. (2024, May 16). The Challenge and Power of Accepting Your Mental Health Diagnosis. SELF.
‌Rao, A. (2023). The complex relationship between chronic diseases and mental health. Research on Chronic Diseases, 7(4), 87–89.
Wanyee, V. W., & Arasa, D. J. (2020). Literature review of the relationship between illness identity and recovery outcomes among adults with severe mental illness. Modern Psychological Studies25(2), 10.
Wilson, C., & Stock, J. (2019). The impact of living with long‐term conditions in young adulthood on mental health and identity: What can help? Health Expectations22(5), 1111–1121.
Wisdom, J. P., Bruce, K., Saedi, G. A., Weis, T., & Green, C. A. (2008). 'Stealing me from myself': identity and recovery in personal accounts of mental illness. The Australian and New Zealand journal of psychiatry42(6), 489–495.
Yanos, P. T., Roe, D., & Lysaker, P. H. (2010). The Impact of Illness Identity on Recovery from Severe Mental Illness. American journal of psychiatric rehabilitation13(2), 73–93.

avatar Somya Pokharna

Auteur : Somya Pokharna, Rédactrice santé

Somya est créatrice de contenu chez Carenity, spécialisée dans la rédaction d'articles sur la santé. Elle est diplômée d'un master à l'école de... >> En savoir plus

9 commentaires


parker
le 10/05/2025

le diagnostic inflige une clinique qui , selon, change ce que nous étions et il nous appartient de nous adapter, seul obstacle: le combat perpetuel pour accéder aux contraintes du quotidien ou rien n'est facile quand on finit toujours par se définir dans notre handicap pour arriver à nos fins je vais choquer, l'euthanasie sociale, cette mort lente qui exclu bien avant la future loi promise


Anna13
le 11/05/2025

Je l'ai dit plusieurs fois et je le redis encore ici.

On ne se résume pas à notre maladie même s'il faut l'avouer c'est quand même elle qui mène la danse.

Tout s'arrange quand on fait le deuil de celle où celui qu'on était et qu'on accueille cette nouvelle personne, Ça passe obligatoirement par cette étape. Il est nécessaire d'accepter nos différences avec bienveillance et compassion envers soi-même.

Il est préférable de ne pas s'exprimer en disant " JE SUIS fibromyalgique ou colopathe chronique ou dépressive ou......" mais plutôt "JE SOUFFRE de fibromyalgie, de colopathie chronique ou de dépression" La maladie ne nous définit pas.


Supertortue
le 11/05/2025

J'avoue que ne pas se définir par rapport à la maladie c'est compliqué, tant elle prend de la place.

Accepter de vivre avec sans se définir par elle, cela me paraît impossible ! Trop de douleurs, trop de frustration de ne plus faire comme avant . Certains jours j'arrive à minimiser l'impact mais globalement elle prend beaucoup trop de place.

Trop de difficultés motrices, trop de douleurs , la prise de poids avec les immunosuppresseurs, trop de fatigue.

Dernièrement la mise en inaptitude à mon poste de travail J'avoue m'a beaucoup perturbée.

Je peux faire mon travail mais pas 9h par jour, 6/7( préparatrice en pharmacie), Je peux dire qu'après 29 ans en officine c'est très dur alors pour le moment me redéfinir c'est encore compliqué.

Bien sûr il faut avancer on a pas le choix et oui on regarde la nature et on profite des bons moments plus de la même façon ,on savoure.


JMA1960
le 11/05/2025

 

Madame, Monsieur,

 

Je tiens à vous exprimer ma

profonde gratitude pour la diffusion de cet article éclairant et si riche en

nuances. Votre exposé sur la manière dont un diagnostic – qu’il s’agisse d’une

maladie chronique ou d’un trouble de la santé mentale – peut interroger et

transformer notre identité a profondément résonné en moi. Vous y décrivez avec

justesse la construction de notre identité à travers les rôles que nous jouons,

les récits que nous nous racontons, et les espoirs qui nourrissent notre

avenir. Vous mettez en lumière le phénomène d’« engloutissement », où

le diagnostic risque de faire taire ou de refaçonner l’essentiel de qui nous

sommes, sans toutefois effacer nos véritables valeurs. Cette approche, qui

interroge le passage du « vous d’avant » au « vous

d’après », offre une réflexion essentielle sur la résilience et la

capacité de l’être à se réinventer.

 

Ma curiosité, éveillée par la

profondeur de ce sujet, m’a conduit à explorer la toile afin de glaner et

vérifier l’ensemble des informations disponibles. J’ai ainsi retrouvé et

consulté un article de Carenity qui s’attache précisément à ce bouleversement

identitaire induit par la maladie chronique, et qui décrit avec soin la manière

dont le quotidien se transforme – des changements dans la gestion de la vie

quotidienne aux ajustements au niveau professionnel et relationnel – et

comment, malgré ces perturbations, l’identité demeure une entité évolutive que

l’on peut, étape par étape, reconstruire et enrichir .

 

Par ailleurs, j’ai également

découvert des analyses complémentaires portant sur des conditions telles que le

trouble dissociatif de l’identité. Ces ressources – notamment des articles de

« l’Information Hospitalière » et d’autres plateformes spécialisées –

apportent une perspective additionnelle sur la manière dont un diagnostic peut

fragmenter ou redéfinir l’image que l’on a de soi. Elles mettent en avant, par

exemple, la difficulté de se remémorer certains épisodes marquants ou la

dissociation entre différentes facettes de la personnalité, ce qui rejoint la

réflexion sur une identité en constante reconfiguration.

 

Je souhaite vous remercier

sincèrement pour ce partage d’informations si inspirant. Votre article ouvre la

voie à une compréhension plus humaine et nuancée du chemin de reconstruction

personnelle induit par un diagnostic. Il offre également l’espoir que, malgré

les épreuves et les risques de repli identitaire, chaque diagnostic peut aussi

être l’occasion de redéfinir sa trajectoire de vie et de puiser dans une force

intérieure insoupçonnée.

 

Avec toute ma reconnaissance,

 

Jean‑Marc

 

 

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