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La bipolarité : un atout pour une créativité positive ?

Publié le 6 nov. 2018 • Mis à jour le 12 juin 2019 • Par Louise Bollecker

La bipolarité : un atout pour une créativité positive ?

Découvrez l'histoire de Julie, bipolaire et artiste comme Victor Hugo, Emile Zola, Stendhal, Guy de Maupassant, Charles Baudelaire, Van Gogh, Claude Monet, Toulouse Lautrec, Ernest Hemingway... Julie est également psychologue, son rôle est ainsi double, entre rôle de patient bipolaire et rôle de soignant

 

La bipolarité : maladie ou mode de fonctionnement ?

Julie : Je pense que la bipolarité est une maladie à part entière, du fait de ses facteurs héréditaires, mais que des facteurs extérieurs comme un deuil, un licenciement, une émotion forte, un changement de saison, peuvent favoriser son apparition. Les bipolaires sont connus par une hypersensibilité et une vulnérabilité affective. Cette sensibilité pour ma part, sans nier une souffrance énorme, notamment dans les périodes de dépression, peut s’accompagner d’une évolution positive au travers de la renaissance du désir, projets, créativité, plus grande réceptivité au monde extérieur, resocialisation... On peut parler alors d’un mode de fonctionnement quand l’identité créatrice de la personne prend place.

Ta profession de psychologue t’a-t-elle aidée à mieux identifier, diagnostiquer la bipolarité ?

Lorsque j’étais étudiante en psychologie, on parlait de psychose « Maniaco-dépressive ». Je me reconnaissais alors dans une structure de type névrotique, le terme psychose m’effrayait. Pourtant des liens entre bipolarité et psychose existent dans la mesure où un délire peut surgir lors de la phase maniaque, ce qui complique considérablement le diagnostic qui peut mettre plus de dix ans à être établi alors que la pathologie se déclare généralement vers l’adolescence. Le zoom porté sur certaines périodes de ma vie, leur réactivation affective, leur analyse, leur compréhension m’ont également dérangée pour mieux me façonner. Bien qu’étant psy-clinicienne de formation, je ne suis pas pour une psychanalyse à proprement parler mais plutôt pour la dynamique qu’offre la thérapie en face à face. En effet, comment se découvrir soi sans passer par l’autre ?

Julie-témoignage-bipolarité

Comment vit-on cette double personnalité : Psychologue et patient à la fois ?

Ça prend du temps... Lors de ma première hospitalisation à 27 ans, un jeune psychiatre est rentré dans ma chambre ; il s’est avéré que j’avais fait un stage en psychiatrie avec lui... Imaginez la situation ! Puis le temps a passé, ponctué de discussions et de rencontres et cette double identité est devenue « un plus ». Je ne me considère pas non plus comme malade d’un côté et psychologue de l’autre, mais plutôt comme un tout, une entité avec une singularité qui m’est propre et dans laquelle je me reconnais. Vivre la maladie et comprendre ses aspects me permettent de mieux aider les autres. Loin d’être dans la neutralité bienveillante du professionnel, je suis dans le respect et le partage de l’autre

Julie-sculpture
"Sommeil vert" (bronze)

Certains médecins comparent cette pathologie a un cancer. Peut-on guérir de la bipolarité ?

Je ne pense pas, mais on peut la soigner par l’observance thérapeutique. Respecter le traitement psychiatrique, adopter une bonne hygiène de vie (sommeil, alimentation, marche ou sports...). Enfin accompagner cette observance par d’autres approches thérapeutiques, comme la psychothérapie analytique, et ou comportementale (travail sur l’affirmation de soi, sur la résolution de problèmes), Yoga, méditation de pleine conscience, psychoéducation. Cela contribue à la stabilisation de l’humeur et permet de mieux prévenir des rechutes.

Vivre au quotidien avec la bipolarité, est-ce possible ?

C’est une question importante que soulève la problématique du bipolaire. En traversant tantôt des phases dépressives, avec un état de fragilité énorme, des idées pessimistes et une dévalorisation de soi extrême, tantôt des phases maniaques, où il y a une exaltation de l’humeur, dans laquelle la personnalité change du tout au tout, en s’accompagnant d’un optimisme et d’une confiance en soi hors pairs, le bipolaire a du mal à se retrouver et à se sentir unifié ! Où se trouve sa véritable personnalité dans tout cela ? Pour moi, vivre au quotidien avec la bipolarité c’est construire sans cesse sa personnalité, c’est bâtir une unification et une fortification du moi pendant les phases d’intervalles « libres » de la maladie et en dehors des accès aigus de celle-ci.

Comment vivre dans une société dite « d’excellence » ou la perfection est de rigueur et la fragilité humaine n’a pas sa place ?

Je ne pense pas que la perfection existe véritablement ; si elle est un moteur, il y a souvent un décalage, parfois un gouffre même, entre ce que l’on aimerait être et ce que l’on est vraiment... Ce décalage peut aller de la dévalorisation de soi à une véritable décompensation psychique : dépression, bouffée délirante aigue, burn-out, sont des avatars de notre société moderne. En confondant « l’avoir » et « l’être », en le substituant l’un à l’autre, cette société oublie une chose fondamentale : la fragilité de l’être humain. On peut avoir des capacités, des diplômes, de l’argent, nous ne sommes pas tout puissant. Loin d’être des robots, nous avançons, certes avec nos compétences, mais aussi avec notre histoire personnelle et nos failles qui la jalonnent. Les malades, handicapés, les personnes isolées sont des écueils de notre société ! Toutefois, il arrive étrangement qu’en dépit de leurs souffrances et de leur parcours chaotique, les rescapés rencontrent au détour d’un virage le véritable bonheur... En cela, et pour toutes ces raisons, cette société dite d’excellence et dans laquelle nous vivons pose bien des questions sur sa finalité et quant à l’accès au bonheur.

 

Sculpture-bipolarité
"Libération" (bronze)

 

Comment vivre sa bipolarité tout au long de sa vie en tant que femme ?

Ce n’est pas facile de cheminer avec sa bizarrerie et son imaginaire hors norme... Il me faut revenir plus en arrière pour répondre à cette question. Petite, je ne jouais pas volontiers avec les autres enfants, préférant rester avec des adultes à les écouter, ou pratiquer le coloriage, les perles, la pâte à modeler, le dessin ou encore la danse. J’aimais aussi m’évader dans une « autre époque » en me déguisant pour jouer « À Autrefois ». Adolescente, j’ai commencé à me différencier des autres femmes ; plus d’impulsivité, multiplication des relations amicales et amoureuses, passage à l’acte voire mise en danger. Je ressemblais alors plus à un garçon manqué.

Vivre avec ma bipolarité en tant que femme a pris un autre sens en donnant naissance à Augustin, mon fils, aujourd’hui âgé de 22 ans. J’ai alors arrêté la pratique de la psychologie pour me consacrer à lui, pour l’éduquer et l’aider à s’envoler du mieux possible. Peut être alors que mon imagination de bipolaire m’a aidée dans mon éducation. J’ai essayé de l’initier à la musique, au dessin (dans lequel il avait une production hors norme), je lui parlais de psychologie, invitais volontiers ses amis, la porte de la maison a toujours été ouverte. Par ailleurs mon ex-mari s’est toujours avéré un excellent père. Artiste et notaire, sa stabilité était structurante pour Augustin comme pour moi. J’ai également été très entourée par mes parents.

Pour toutes ces raisons et malgré mes nombreuses hospitalisations, Augustin s’est développé normalement, bien qu’il ait été diagnostiqué « précoce » à l’âge de 4 ans, mais pas bipolaire ! Soulagement ! Il est actuellement monteur dans le cinéma, enchaîne courts-métrages et chansons. S’il y a bien une chose dont je suis fière c’est bien de lui ! Comme quoi maternité et bipolarité ne sont pas incompatible à condition d’être bien accompagnée. 

Peux-tu nous donner ta vision sur la maturité psychologique et sur l’acceptation de la maladie ? 

La maturité psychologique consiste pour moi dans le fait d’accepter que la maladie nous a transformé, que l’on ne reviendra plus comme avant. Il faut essayer de penser le handicap en termes de résilience, de remaniement et de reconstruction personnelle. Dans Parler d’amour au bord du gouffre, Boris Cyrulnik nous dit que "la partie morte du handicap est soumise à des impératifs médicaux de soin alors que la partie vivante n’est plus agonisante mais qu’elle surinvestit des capacités enfouies par la maladie". Quant à l’acceptation de la maladie, celle-ci transforme la personne souffrante en un nouvel être. Le retour à la vie se fait en secret avec l’étrange plaisir que donne le sentiment de sursis. Être souffrant est parfois nécessaire pour comprendre, c’est le temps qu’il faut pour nous faire naître au sens. 

Toi-même tu es une artiste sculpteur passionnée. En quoi la bipolarité éveille-t’elle tes sens à ce point ?

S’il existe un lien entre ma bipolarité et ma créativité, c’est peut-être au niveau de la sensibilité et de l’hypersensorialité qui l’accompagne. Petite, mes parents m’avaient laissé peindre sur un mur de ma chambre un immense arc-en-ciel qui surplombait une mer dans laquelle une sirène homme et une sirène femme se tenaient la main ; l’imagination était déjà en moi ! Les sirènes se retrouvent mystérieusement aujourd’hui dans mes dernières créations en sculpture... Un hasard ? Le dessin, la peinture, la musique, le français étaient mes matières préférées à l’école et j’excellais dans leur domaine.

Beaucoup plus tard, en 1998, je me lance néophyte et sans aucune référence artistique dans la sculpture. Je retrouve alors dans le lissage de la terre avec mes doigts des sensations enfouies. Eveil de ma peau, émergence de la sensualité, vibrations intérieures. Je suis projetée dans un monde de douceur et de volupté. Après, l’imaginaire prend le pas : animer une feuille blanche, un bloc de terre inerte, y mettre de la vie, du mouvement, transformer le néant en création, la réalité en imagination. C’est vrai, comme tu l’as souligné plus haut, certains bipolaires témoignent d’un génie artistique !

 

Sculpture-bipolarité
"Hammam" (résine)

 

Merci à Julie pour ce témoignage livré en toute transparence ! Il nous a été transmis par Bipolarité France, une association dédiée à la bipolarité et donc la spécificité est de donner la parole à des "patients experts". Il s'agit de patients qui accompagnent d'autres personnes souffrant de la pathologie. Ils ont appris sur eux-mêmes, sur leurs symptômes et leurs traitements, sont les véritables acteurs de leur maladie et, comme Julie, souhaitent capitaliser sur les atouts de la maladie. Permettre au plus grand nombre de trouver une lueur d’espoir, de vivre malgré tout, en société, en couple, en famille, entre amis. Découvrez l'association par ici

 

Que pensez-vous de ce témoignage ?
Vous aussi, essayez-vous de faire de votre bipolarité un atout ?

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Bipolarité France

avatar Louise Bollecker

Auteur : Louise Bollecker, Community Manager France & Content Manager

Community Manager de Carenity en France, Louise est également rédactrice en chef du Magazine Santé pour proposer des articles, vidéos et témoignages centrés sur le... >> En savoir plus

15 commentaires


Fannye17
le 19/11/2018

Idem.. Très beau témoignage,  mais moi aussi j'ai tout perdu (amis,  famille..)  j'arrive quand même a travailler malgres mon agoraphobie en plus. 

Heureusement que je sauve des animaux,  ce sont les seuls êtres qui m'entourent , sans eux je ne serai plus là 


stephane1968
le 28/11/2018

très beau témoignage. s'il est difficile d'avoir un semblant de vie acceptable plus la maladie se déclare tard (29 ans) pour moi), il est à mon avis possible de se reconstruire à son rythme. mes passions sont loin de de celles de Julie (astrophysique, jeux vidéos, marchés financiers) . c'est à chacun de trouver les siennes pour retrouver une estime de soi après avoir fait le deuil de "sa vie d'avant". j'ai mis du temps à reconquérir des liens apaisés avec ma famille. c'est chose faite depuis mes 40 ans.

je n'ai pas fait de yoga, ni de sophrologie, mais j'ai appris la méditation et l'utilise pour m'endormir (une simple concentration sur son souffle)

le témoignage de Julie donne pleins de pistes intéressantes pour mieux vivre sa bipolarité. 

c'est, je le répète, à chacun de prendre sa maladie à bras le corps  pour retrouver, avec l'aide des soignants, une nouvelle vie, certes différente, mais malgré  tout agréable

je vous souhaite plein de bonheur 


Tibanem
le 28/11/2018
Toutes les personnes atteintes de cette psychose sont aussi différentes que tous les brins d'herbes et fleurettes d'une prairie géante . Si des constantes de la maladie nous unissent , et encore avec des intensités diverses, on "n'est pas tous pareils" . C'est une réponse un peu sèche comme un uppercut à un reclus de la même clinique que je venais de rejoindre après 10 jours dans un service de post-urgences . Qu'est-ce que vous avez vous ? Etant reclus dans le même service dédié au bipolaires et quelques victimes atteintes des conséquences d'un burn out , la réponse était évidente , un chance sur deux . Je ne porte pas ma pathologie à la boutonnière, mais je ne la cache pas non plus . Me sachant bipolaire , il s'exclama " ah ben on est pareil alors " .Ah ça non mon petit monsieur , on n'est pas pareil !" Refroidi , il s'éloigna et ne croisa pas une seule fois mon regard au détour d'un couloir de tout mon séjour .Non on n'est pas pareil : chacun son vécu, chacun ses traumas, chacun sa résilience, chacun son niveau ou statut social . La psychiatrie nous met dans des cases , type I type II ..... et même atypique ! Pas de chance je suis atypique ! La bonne blague . La bipolarité , du moins les premiers signes , la première TS dont je me souvienne , j'avais 8 ans . Diagnostiquée entre 40 et 45 ans .Que de temps perdu . Peut-être . Mais c'est mon histoire .Singulière .Comme chacun des témoignages et ce magnifique témoignage exemplaire , est singulier , particulier .Ayant fréquenté moultes HP, moultes cliniques moultes psy , mon expérience et mes rencontres si elles ne peuvent être une étude épidémiologique , ne m'ont permis de le plus souvent surtout des maniaco-dépressifs ayant perdu , famille, compagnons , amis, Et travail .J'ai une famille , qui tient le coup , un compagnon qui serre les dents , deux amies fidèles .Fonctionnaire, le Ministère de La Culture m'a réformée comme une vielle chaise cassée et dépareillée , bien que RQTH . Avec un taux d'invalidité le plus bas possible .Et oui , une fonctionnaire en moins , une retraite en moins , et une petite pension minimal puisque c'est l'Etat qui paye .J'avais 53 ans . Comment supporter les médicaments ? Chacun est différent , chacun a une dose différente . Que dire des comorbidités , alcool, coke, ou autres drogues plus ou moins licites ? Accepter sa maladie , bien joli tout ça, quand cette maladie vous fait tout perdre, vous exclue, vous désociabilise , .Tous ne sont pas des artistes , ni des génies, Tous ne sont pas Churchill ou Virginia Woolf . Comment admettre que votre fille cadette soit également atteinte avec une comorbidité importante , l'alcool ?

nanouchka36
le 28/11/2018

bonjour très beau témoignage, merci Julie. Après ma dernière TS, mon couple battait de l'aile, j'ai été diagnostiquée à l'âge de 44 ans, j'ai vécu avec, j'ai eu 2 enfants qui sont grands maintenant. Je suis suivie par une psy et un psychiatre pour les médocs, et avec mon mari nous sommes suivis par l'institut du couple et de la famille, donc un autre psy qui nous a bcp aidé. Je suis stabilisée plus ou moins, avec des fois ses excès de tristesse qui m'aspire vers le fond, mais je sais que c'est passager et que le bout du tunnel arrive. Pour mon mari c'est très déstabilisant mais on parle beaucoup. Mes enfants ont bcp soufferts de mes humeurs et de mes excès des fois de violences, mais le dialogue a toujours été très présent et nous sommes unis. Je fais très attention maintenant à ne pas subir de stress dans le travail et dans la vie et ça mieux


karlisia
le 29/11/2018

Ma bipolarité c'est aussi ma force !

Je ne suis pas que la maladie, je suis singulière, parfois plus fragile mais avec ma personnalité. J'ai eu la "chance" d'être diagnostiquée à 26 ans, après une entrée fracassante par une bouffée délirante aigue à mes 25 ans, et l'arrivée de ma 1ere fille à 27 ans m'a permise d'accepter que la bipolarité n'était pas juste un accident de parcours.

Cela n'est pas facile tous les jours, mais chaque moment difficile redonne un sens aux vraies valeurs de la vie...Ce qui ne me tue pas, me rend plus forte. J'ai deux enfants, une maison que j'ai achetée seule après ma séparation, de la motivation même si parfois j'a besoin de me poser...Côté boulot je travaille mais c'est vrai que depuis un an mon employeur me met quelques batons dans les roues malgré une RQTH  depuis 2009...juste pour une demande de derogation horaire le matin...Bref, j'ai d'autres projets, je rebondis...Je prends tous les petits bonheurs de la vie et je cultive l'optimisme que je vole aux passages plus difficiles. J'ai des amis, une vie sociale assez normale, J'ai un vrai soutien thérapeutique...Ma famille m'a aidée mais je ne leur demande pas de me comprendre juste de m'accepter tel que je suis et ne pas me juger , après j'ai appris à faire le deuil en général de la fille parfaite, compétitive et toujours au top ! Le regard des autres, je m'en affranchi, je me fais confiance et surtout, surtout j'ai appris à me préserver !  C'est un dosage, je vois cette maladie comme une carrière de funambule sur le fil de la vie mais a force de s'exercer et de se faire confiance, de mesurer les risques, et de se relever après être tombé, alors on avance confiant et heureux de pratiquer l'art de l'équilibre...

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