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Entretien avec un expert : comprendre la neuropsychologie (2/3)

Publié le 10 juin 2020 • Mis à jour le 30 juin 2020 • Par Andrea Barcia

Timothée Albasser est neuropsychologue à l'hôpital Hautepierre de Strasbourg, en France. Il révèle tous les secrets de la maladie d'Alzheimer : critères de diagnostic, facteurs de risque, évolution, traitements...

Entretien avec un expert : comprendre la neuropsychologie (2/3)

Bonjour Timothée, merci d'avoir accepté de répondre à nos questions. Qu'est-ce que la maladie d'Alzheimer et comment évolue-t-elle ?

La maladie d'Alzheimer, décrite en 1907 par Alois Alzheimer, représente la grande majorité des cas de démence après l'âge de 65 ans. Elle commence insidieusement par des problèmes de mémoire des événements récents et une désorientation dans le temps et l'espace. La progression est lente, sur huit à dix ans, avec une accentuation progressive des déficits cognitifs (mémoire, langage, gestuelle, troubles de la reconnaissance, fonctions intellectuelles) et des troubles de l'humeur et du comportement. Le patient perd toute autonomie et la mort survient à la suite de complications infectieuses ou vasculaires.

Avec autant de symptômes différents, comment diagnostiquer la maladie d'Alzheimer ?

La maladie d'Alzheimer est la cause la plus fréquente de démence chez les personnes âgées. Elle se caractérise par la présence de lésions : plaques amyloïdes (un ajout de la protéine A-Beta) et dégénérescence neurofibrillaire (accumulation de filaments pathologiques dans le corps cellulaire ; indicateur de la mort neuronale, protéine Tau), qui constituent les résidus de ce processus pathologique. Les critères de diagnostic clinique les plus couramment utilisés sont ceux décrits dans le DSM-IV-TR (Guelfi, 2003). Ils placent une altération de la mémoire antérograde et rétrograde au centre des troubles cognitifs présents dans la maladie.

Critères diagnostiques de la démence d'Alzheimer, DSM-IV-TR

A. Apparition de multiples déficits cognitifs mis en évidence simultanément :

  1. Troubles de la mémoire (capacité réduite à apprendre de nouvelles informations ou à se souvenir d'informations déjà apprises)
  2. Une (ou plusieurs) des distorsions cognitives suivantes :
    - Aphasie (trouble du langage)
    - Apraxie (altération de la capacité à effectuer une activité motrice malgré des fonctions motrices intactes)
    - Agnosie (incapacité à reconnaître ou à identifier des objets malgré des fonctions sensorielles intactes)
    - Perturbation des fonctions exécutives (projection, organisation, gestion du temps, pensée abstraite)

B. Les déficits cognitifs des critères A1 et A2 entraînent une altération significative du fonctionnement social ou professionnel et représentent une diminution importante du niveau de fonctionnement antérieur.

C. L'évolution se caractérise par une apparition progressive et un déclin cognitif continu.

D. Les déficits cognitifs des critères A1 et A2 ne sont pas dus à :

  1. Autres affections du système nerveux central pouvant entraîner des déficits progressifs de la mémoire et du fonctionnement cognitif (par exemple, maladie cérébrovasculaire, maladie de Parkinson, maladie de Huntington, hématome sous-dural, hydrocéphalie à pression normale, tumeur cérébrale)
  2. Les affections générales pouvant entraîner la démence (par exemple, hypothyroïdie, carence en vitamine B12 ou en folate, pellagre, hypercalcémie, neurosyphilis, infection par le VIH)
  3. Conditions induites par une substance.

E. Les déficits ne se produisent pas exclusivement au cours d'un syndrome de confusion.

F. La perturbation ne s'explique pas au mieux par un trouble de l'axe I (par exemple, trouble dépressif majeur, schizophrénie).

Ce codage est basé sur la présence ou l'absence d'une perturbation comportementale cliniquement significative :

  • Aucun trouble du comportement : si la déficience cognitive ne s'accompagne d'aucun trouble du comportement cliniquement significatif.
  • Avec trouble du comportement : si la déficience cognitive est accompagnée d'un trouble du comportement cliniquement significatif (par exemple, errance, agitation)

Enfin, il est nécessaire de préciser les sous-types :

  • Début précoce : si le début est à 65 ans ou plus tôt.
  • Tardive : si elle se produit après l'âge de 65 ans. 

Existe-t-il des tests exclusifs pour évaluer la maladie d'Alzheimer ou d'autres démences ?

Un test neuropsychologique ne mesure pas une fonction particulière, mais un ensemble de fonctions cognitives.

Au terme de la reconnaissance neuropsychologique, on obtient la présence ou l'absence d'un syndrome. Ainsi, on peut parler d'un "syndrome de l'hippocampe" (trouble de la mémoire avec oubli accéléré d'informations), d'un syndrome dysjonctionnel (trouble dans l'exécution d'activités non routinières, telles que l'inhibition, la résolution de problèmes ou les capacités organisationnelles) ou d'un syndrome de Gertsmann (trouble du calcul, de la lecture et de l'indistinction droite-gauche).

Ces syndromes ne sont pas spécifiques à une pathologie : par exemple, le syndrome de l'hippocampe est souvent présent dans la maladie d'Alzheimer, mais peut aussi l'être dans la dépression, la maladie du corps de Lewy, après un accident vasculaire cérébral ou un traumatisme crânien. C'est donc la combinaison des résultats obtenus par les tests neuropsychologiques, mais aussi la façon dont les troubles commencent (graves ou progressifs ?), leur évolution et les résultats des examens complémentaires effectués (ponction lombaire, résonance magnétique, analyses sanguines) qui faciliteront le diagnostic. Il n'existe donc pas de test pour chaque pathologie.

Les démences en général sont un groupe de maladies très sujettes aux erreurs de diagnostic, pourquoi ?

Parce que leurs causes sont encore inconnues aujourd'hui ! On parle de "l'hypothèse de la cascade amyloïde" dans la maladie d'Alzheimer ou de "l'hypothèse de l'implication génétique" dans la dégénérescence lobulaire frontale. Sans connaître la cause et le développement de la maladie, il est difficile de faire un diagnostic.

Une autre raison est que les mêmes syndromes peuvent se retrouver dans plusieurs pathologies : cause du diagnostic différentiel ?

Enfin, même un patient peut présenter une double pathologie, comme la maladie du corps de Lewy + la maladie d'Alzheimer ; ou la maladie d'Alzheimer + la sclérose en plaques. Cela rend le diagnostic encore plus difficile.

Quels sont les facteurs de risque ?

Il existe deux principaux facteurs de risque de la maladie d'Alzheimer :

1. Maladie d'Alzheimer précoce = essentiellement d'origine génétique (mutations génétiques sur les chromosomes 21, 14 ou 1)

2. Formes sporadiques tardives :

  • Âge
  • Le sexe féminin
  • Facteurs génétiques
  • Antécédents familiaux de démence
  • Le niveau d'éducation
  • La taille de la tête
  • Activités de loisirs
  • État civil et environnement social
  • Antécédents de traumatisme crânien
  • Dépression
  • Consommation de vin et autres facteurs alimentaires
  • Composition de l'eau potable
  • Oestrogènes
  • Anti-inflammatoires non stéroïdiens
  • Facteurs vasculaires
  • Facteurs génétiques : présence de l'allèle ε4 du gène codant pour l'apolipoprotéine E

Quels sont les traitements actuellement disponibles ?

Il existe actuellement deux grands groupes de traitements sur le marché.

Inhibiteurs non compétitifs des récepteurs NMDA :

Inhibiteurs de l'acétylcholinestérase :

Que pensez-vous de son efficacité ? Est-elle prouvée ?

Actuellement, il n'existe aucun médicament qui puisse guérir la maladie.

Son efficacité est toujours en débat. Cependant, des études scientifiques ont prouvé qu'il réduisait considérablement la progression de la maladie. Par conséquent, les troubles cognitifs progressent plus lentement. La qualité de vie du patient et du soignant s'améliore et le maintien du patient à domicile augmente.

Retrouvez la première et la troisième partie de l'interview de Timothée Albasser dans le Journal de la Santé :
Interview d'expert : découvrir la neuropsychologie (1/3)
Entretien avec un expert : comprendre la neuropsychologie (3/3)


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Bon courage à tous, prenez soin de vous !

 

 

2 commentaires


Chupinette
le 17/08/2020

Mon époux à la maladie d Alzheimer diagnostiquée en décembre 2019, mais les troubles cognitifs depuis 3 ans. Il a des séances  d orthophoniste  3 fois par semaine à  domicile il s en sort très bien.  Par contre il est très  colereux  et agressif verbalement,  sauf deux fois en me tenant les bras. Ç est les crises qui sont dures à  gérer. J ai lu votre article, tr intéressant, mais j aimerais  savoir comment faire face à la colère. 

Merci.  Chupinette


Detchen
le 24/10/2020

On fait face à la colère par la douceur.
"Moi aussi, je te comprends, quand tu réagis ainsi est-ce-parce que...?
.... ça peut durer longtemps...
Mais bref, calmons nous var ça nous fait encore plus mal sinon".

Enfin, je dis ça mais je pique parfois des colères quand mes besoins vitaux ne sont ni écoutés ni comblés alors que je suis très patiente (dans tous les sens du terme) .

donc facile à dire la CNV ce n'est pas inné.. c'est un entraînement.

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