Sida : l'incroyable rémission d'une jeune Française

«Douze ans, c'est extraordinaire, c'est la première fois au monde que l'on montre une rémission aussi longue chez un enfant», s'enthousiasme le Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) et de l'Institut microbiologie et maladies infectieuses (Paris). «Même dans la cohorte Visconti, qui réunit des adultes traités très tôt après la contamination et continuant à contrôler l'infection malgré l'interruption du traitement, seul un patient a une durée de rémission supérieure, treize ans ; les autres sont plutôt aux alentours de dix.»

L'enfant a été contaminée durant la grossesse ou à la naissance par sa mère, un risque quasiment nul aujourd'hui si la femme est traitée durant la grossesse. À l'époque, la monothérapie délivrée à la future maman, moins efficace que les traitements disponibles aujourd'hui, n'avait pas suffi. Mis sous AZT (zidovudine) dès sa naissance et durant six semaines, le bébé s'avérera infecté par le VIH un mois après et, face à l'emballement de sa charge virale, se verra prescrire quatre antirétroviraux.

Tout se passe bien durant près de six ans et la fillette grandit en parfaite santé, avant de disparaître du radar des médecins. «Cela arrive régulièrement, explique Pierre Frange. Le suivi médical de ces enfants est très régulier, le traitement lourd… Or elle ne présentait aucun symptôme de la maladie.» Après une année sans donner de nouvelles, ses parents la ramènent à l'hôpital et avouent ne plus lui donner ses médicaments. Mais l'équipe constate que la charge virale de la fillette est indétectable et décide de ne pas reprendre le traitement.

Les années passent et les médecins veillent à distance lorsqu'en 2013, est publié le cas du «Bébé Mississippi» (nos éditions du 24 octobre 2013). Né séropositif et aussitôt mis sous trithérapie, cet enfant dont la mère avait décidé quinze ou dix-huit mois plus tard de stopper les traitements présentait trois ans plus tard une charge virale indétectable. «Guérison fonctionnelle», clament les médecins américains en octobre 2013, espoir douché quelques mois plus tard quand le virus se réveille.

«Quand l'annonce de cette possible rémission a été faite, j'ai demandé à mes équipes de voir si nous n'avions pas d'équivalent», raconte le Pr Delfraissy. Sur 187 enfants de la cohorte française nés séropositifs depuis 1996 et aussitôt traités, 15 ont interrompu leur traitement à l'initiative des familles: 13 d'entre eux ont vu leur charge virale rebondir dans l'année, un autre l'a contrôlée pendant environ trois ans. Une seule jeune fille résiste encore. Prudents, les médecins en retardent l'annonce. «Nous voulions d'abord comprendre un peu ce qui se passait», précise le Dr Frange.

«Nous n'avons pas de données très claires expliquant pourquoi elle maintient ce contrôle sur l'infection, admet le Dr Asier Saez-Cirion, chercheur de l'Institut Pasteur qui devait présenter le cas à Vancouver. Elle ne présente pas les facteurs génétiques ni le type de réponse immunitaire retrouvés chez les très rares personnes qui contrôlent naturellement l'infection sans jamais avoir reçu de médicaments.» «Nous pouvons affirmer que son organisme n'était pas spontanément prédisposé à contrôler l'infection, confirme le Dr Frange. En revanche, son système immunitaire présente des caractéristiques très similaires aux adultes de la cohorte Visconti, qui contrôlent l'infection même après arrêt du traitement.» Mais surtout, insiste le Dr Saez-Cirion, «elle a été traitée très précocement et durant ses six premières années, ce qui est l'un des temps les plus longs avant l'arrêt que nous connaissions».

Attention cependant, tempèrent les médecins: la jeune femme n'est pas guérie. «Elle est capable de contrôler la réplication du virus mais il est toujours là, on arrive à le détecter et à le réactiver in vitro», insiste le Dr Saez-Cirion. La surveillance doit donc être très régulière (trois à quatre fois par an) pour prendre très vite des antirétroviraux si le virus se «réveille». La jeune femme, qui a atteint l'âge des premières amours, doit se protéger en cas de rapport sexuel car le risque de contaminer son partenaire n'est pas nul. «Pour infirmer ce risque, il faudrait la soumettre à des examens gynécologiques contraignants», explique Pierre Frange. Quant à ce qu'il conviendra de faire si elle envisage une grossesse, l'équipe n'en a pas encore discuté. «On sait qu'il y a une corrélation forte entre le niveau de réplication du virus dans la circulation sanguine et le risque qu'il passe à travers le placenta», précise le Dr Frange ; mais ses médecins choisiront peut-être, par prudence, de la mettre quand même sous antirétroviraux pour protéger son bébé.

 

L'histoire de cette jeune femme confirme surtout, s'il en était besoin, la nécessité absolue d'initier au plus tôt un traitement chez les bébés séropositifs. Naissances désormais très rares dans nos contrées (ils se comptent sur le doigt de la main chaque année en France) mais pas dans les pays pauvres.

Pour l'instant, une si longue rémission est un cas isolé. Pour tous les autres patients, pas question de tenter le diable et d'arrêter les médicaments pour en avoir le cœur net: si le virus repartait, il pourrait au passage faire des dégâts, avertissent les médecins. «Notre espoir, ajoute le Dr Frange, est de mieux comprendre ce qui se passe chez cette jeune femme pour pouvoir, éventuellement, proposer l'arrêt des traitements à des patients qui auraient les mêmes caractéristiques.» «Pour le moment, ce cas a peu de conséquences immédiates en santé publique, conclut le Pr Delfraissy. Mais en termes de recherches, c'est passionnant!»